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tout était assez abondant et que les invités furent satisfaits. Ils ont évidemment mani-
festé leur préférence pour le punch, l'orgeat, le brochet, le vacherin, les biscuits, les
pruneaux, les oranges, tout ce qui était sucré et délicat (on ne peut pas toujours résis-
ter aux tentations) mais pour se réhabiliter n'ont-ils pas consommé 21 livres de pain,
30 bouteilles de vin rouge, 1 livre de fromage bleu et 2 de fromage de chèvre i
      Ce ne sont pas comme de nos jours des mixtures et des boissons complexes et
exotiques qu'on offrait à ses amis, on n'avait pas comme nous l'univers à sa disposi-
tion pour en tirer les produits les plus inattendus et les plus bizarres, la chimie n'avait
pas fait encore assez de progrès pour remplacer les productions naturelles, on ne
baptisait même pas les mets bien connus de noms impressionnants : bouchées
Leckzinska, volailles Demidof, cassolettes Agnès Sorel, et l'art culinaire (chéri des
Brillât-Savarin, des Berchoud et de tant d'autres) ne puisait pas ses recettes de mets
et de boissons à Budapest, à Shanghaï, à Honolulu ou dans l'Arizona.
      Non, heureuse, honnête simplicité ! dans ce temps idyllique où l'on ornait son
salon de simples bouquets de violettes, ce qu'on donnait, c'étaient de bonnes vic-
tuailles du pays de France, mieux encore, du terroir lyonnais, des plats pour des gens
bien portants et des estomacs robustes : brochets, volailles, gloire de la Bresse, jam-
bons, pâtés, cervelas, gloires de Lyon, des pommes cuites, des pruneaux, des vache-
rins et du pain, en abondance,du vin rouge (du Brindas ou du Beaujolais) à discrétion !
 On n'oubliait point les conseils de Berchoud :
                   ... Près des lieux charmants où Lyon voit passer
                   Deux fleuves amoureux tout prêts à s'embrasser,
                   Vous vous procurerez, sous ce ciel favorable,
                   Tout ce qui peut servir aux douceurs de la table.

   Voyons par la pensée cet appartement bourgeois, sans luxe, à peine confortable,
tous ces braves gens en costume de soirée, avec leurs beaux gilets, leurs grands cols,
leurs hautes cravates, les mères et les filles avec leurs boucles, leurs bonnets, leurs
robes bouffantes, assis autour de cette table, simplement et abondamment fournie, à
la lueur jaune des bougies et des quinquets ; nous sommes bien convaincus qu'ils
n'en avaient pas moins le cœur joyeux et que leurs plaisirs étaient plus complets, plus
sains, plus naturels que ceux que nous pouvons éprouver maintenant avec infiniment
plus de recherches, de peine et de complications!
                                                                      H, ALIBAUX.