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— io6 — qu'elle lui ait attiré les foudres des édiles d'alors, moins chatouilleux que ne le seraient peut-être ceux d'aujourd'hui ; mais impunie ou non, cette impertinence est tout au moins l'indice que les artistes étaient prêts à tout braver, pour faire leur cour au maî- tre tout puissant qui les tenait à sa merci. Combien d'entre eux, d'ailleurs, n'ont-ils pas dû se plier à des épreuves autre- ment humiliantes pour leur amour-propre sinon pour leur dignité ! Damoreau, le mari de la célèbre cantatrice Mme Damoreau-Cinti, le futur créateur à Lyon, en 1826, de la Dame blanche, qui était, en 1823, s o u s ^a direction Singier, premier ténor d'opéra-comique et, du reste, assez généralement apprécié, s'était permis, un dimanche soir, de répondre aux marques d'improbation dont il était l'objet, par un de ces mouvements de vivacité que le parterre ne pardonnait pas, parce qu'il les considérait comme attentatoires à sa souveraineté, et il appréhendait fort d'avoir à subir les effets de son courroux, lorsqu'il aurait à l'affronter de nouveau. Cette occasion se représenta le mercredi suivant 22 janvier, où il devait chanter Joseph, de Méhul, et il vint ce soir-là beaucoup de monde, moins, disait la feuille (1) qui rapportait cet épisode caractéristique, « pour la puissance et le charme de la musi- que de Méhul, que parce que Damoreau venait, après une bouderie de quelques jours, réclamer, comme l'enfant prodigue, l'indulgence et les bonnes grâces de ceux dont il avait un instant méconnu l'autorité ». « Damoreau, continue le narrateur de cette scène drolatique en même temps qu'un peu affligeante, s'est avancé d'un pas timide et un peu incertain devant ses juges et, d'une voix dont l'émotion rendait les sons plus touchants, a chanté l'air : « Champs paternels ... » avec une expression tout à fait appropriée à la [circonstance. Satisfaits de cet acte de déférence, le parterre et les loges y ont répondu par une triple et bruyante salve d'applaudissements. Il s'est incliné d'un air pénétré, et on a pu regarder la paix comme conclue ». Neuf ans plus tard, en 1832, sous la direction Pierre Boucher, le Grand-Théâtre qui, à ce moment-là et longtemps encore par la suite, donnait, à peu près chaque soir, un spectacle composé d'une comédie, d'un opéra et d'un ballet, comptait, dans sa troupe dramatique, un jeune premier rôle, du nom de Delacroix, dont le talent était, à juste titre, fort apprécié. Le lundi 24 décembre, il jouait, dans une représentation organisée à son bénéfice, le personnage principal, dans une pièce en cinq actes et en vers intitulée le Jour de Noce, dont l'auteur était une femme de lettres de notre ville. Des sifflets aigus et obstinés, qui, disait un des journaux d'alors (2), dans son compte rendu du lendemain, « n'exprimaient peut-être pas uniquement un jugement litté- raire >;, empêchèrent la pièce d'aller jusqu'au bout. Delacroix, qui avait foi dans les mérites de l'ouvrage, se laissa emporter par l'ardeur de sa conviction et, sans penser à mal assurément, sans avoir la moindre intention de manquer de respect au public, (1). Tablettes historiques et littéraires de la Ville de Lyon du 25 janvier 1823. (1). Précurseur du 25 décembre 1832.