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                LE SONGE D'UNE NUIT D'HIVER                      453

avant de mourir, notre carabin légua Lisbeth à Claude en
lui faisant jurer de ne jamais s'en défaire.
   C'est ainsi que le squelette vint de Montpellier en Viva-
rais, où il fut relégué dans un coin du pavillon, au-dessous
de l'inscription : Vita brevis, ce qui faisait croire à bien des
clients du docteur que c'était le nom latin des squelettes.
   Claude le regarda d'un Å“il attendri, en murmurant les
vers du poète :

             Squelette, qu'as-tu fait de l'âme?
             Foyer, qu'as-tu fait de ta flamme?
             Cage muette, qu'as-tu fait
             De ton bel oiseau qui chantait?
             Volcan, qu'as-tu fait de ta lave?
             Qu'as-tu fait de ton maître, esclave? (t)


   Pauvre Lisbeth ! Comme tu es différente du temps jadis !
Je te vois encore fraîche et souriante à son bras; quels
beaux yeux ! quelles joues roses ! quelle magnifique et ma-
gnétique chevelure! quelle mine gracieuse ! quelles lèvres
appétissantes ! quel doux parler et quel bon cœur ! comme
vous paraissiez heureux l'un et l'autre ! Nous étions tous
jaloux de celui que tu aimais. Et nunc erudimini, comme dit
Bossuet.
   O mystères de l'âme, de la chair... et du squelette!
   N'importe ! malgré le triste état où t'a mis la camarde,
tu n'es pas, pauvre fille, un squelette ordinaire pour moi, et
ton souvenir et le sien justifient la place d'honneur et le
rôle de confidente que je t'ai donnés.
   Pour comprendre ces derniers mots, il faut savoir que,


  (1) Ces vers sont de M1»* Anaïs Ségalas (note de l'éditeur).