page suivante »
DE PUVIS DE CHAVANNES 25 I profondément modifiées par lui, si nous sommes les arti- sans de nos sentiments, que peuvent bien signifier les qua- lités souvent conventionnelles d'exécution de l'œuvre d'art, lorsque le but est atteint, c'est-à -dire lorsque l'expression est obtenue ? Que de langages différents, pour traduire l'éternel sentiment humain puisé dans l'éternelle nature ! C'est une sorte de blasphème des yeux que de regarder quelque réaliste grossier après un Léonard de Vinci ; mal- gré les abîmes de pensées et de sensations qui les séparent, ils n'en sont pas moins peintres l'un et l'autre. Le tout est de faire servir la nature à dire ce que nous sommes, ce qu'est notre moi sentimental ; voilà ce qui est intéressant. La représentation du corps humain est le plus haut but de l'art et s'obtient par des procédés bien divers, qui, en les comparant les uns aux autres paraissent contradictoires. En examinant quelques manières différentes de rendre les objets naturels inférieurs, il sera encore plus facile de s'ex- pliquer. Ainsi l'art égyptien dégage d'un seul trait impérieux l'es- sence de l'animal, lion, bœuf ou chat; au contraire quand Albert Durer, peint son fameux Lièvre, il le fait avec une mi- nutie telle qu'on peut compter les poils delà bête, palper ses muscles et ses os; on l'entend souffler, mais on ne voit rien de tout cela, tant l'œuvre est pénétrante, tant le type de l'espèce est fixé en pleine vie. Un Chinois imitera tout aussi bien; son lièvre aura peut-être encore plus de vérité plate, de vérité de procès-verbal; mais cela ne disant rien, ne restera qu'une curiosité. Corot et Ruysdael sont deux grands lyriques du paysage. Le tableau de Corot semble un brouillard lumineux où quelques notes piquées çà et là accusent seulesles formes; Ruysdael rend ce qu'il voit avec une précision incomparable, et tous les deux chantent avec