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212 LETTRE D'UN LYONNAIS D'ALGÉRIE non le patois ou l'idiome natif. Et, grâces aux dieux, parle- t-on, dans la province, qui se respecte, le même langage que dans cet affreux Paris ? Là , dans ce Paris, on dégoise, sous le nom d'argot, une sorte de logodiarrhée (le mot est de Voltaire !) faite pour écorcher les oreilles chatouilleuses sur le chapitre de ce bon parler français, qui est la probité même de la nation, comme le dessin est la probité de la peinture. Chaque milieu, chaque état social, moule son langage dans la forme de ses besoins et de ses habitudes : telle que la vérité, la langue est affaire de longitude et de latitude. Ainsi, nous avons chez nous déjà , plaqués dans les flancs de la langue française, comme les parasites du chêne sur le tronc, jusqu'à deux ou trois dialectes, panachés et .com- posites, et qui se sont fait leur littérature et leur glossaire, leurs adeptes et leurs curieux. L'un, c'est le sabir, ce parler, dont les titres de noblesse remontent jusqu'à l'époque où Cervantes illustrait les pon- tons d'El Djezaïr. Fait de langue franque, de grec et de sicilien, de maltais, de maugrebin, d'espagnol du temps de Barberousse et de langue verte moderne du quartier Mouf- fetard, il répond si bien aux nécessités de la situation que les mores eux-mêmes l'entendent, quoiqu'il leur soit aussi étranger, en somme, que Tiroquois ou le provençal. Les campagnes de Bonaparte en Egypte avaient contribué à le po- pulariser avant la conquête du Nord de l'Afrique. Certains, même, voudraient y voir des vestiges des compagnons de saint Louis : mais je crois que ceux-là nous veulent imposer. Ce qu'il y a d'indéniable, c'est que c'est une langue presque toute militaire, qu'ont enrichie les turcos et les zéphyrs, les zouaves et les joyeux, les légionnaires et les spahis, les réguliers d'Abd-el-Kader, les irréguliers de l'armée d'A-