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ET LA POÉSIE PHILOSOPHIQUE 83 rieur, comme la photographie reproduit un paysage, sans qu'on puisse démêler dans ces reproductions la pensée créatrice qui donne un sens à toute la scène en interprétant librement quelques-uns de ses effets. Cette réponse du réalisme ne peut avoir qu'un succès éphémère. C'est une mode dont on reviendra. La vraie poésie a fait de tout temps une autre réponse. Il y a eu, même dans l'antiquité, de grands esprits qui ont tenté non seulement de réconcilier, mais d'unir la poésie et la science. C'est ce que Lucrèce faisait avec l'audace du génie en exposant dans son De Natura Rerum les formules ardues de la doctrine d'Epicure. Dès le xvm e siècle, combien d'esprits ont rêvé d'écrire le De Natura Rerum des temps modernes. C'était l'inspiration fondamentale de ce grand poème à 'Hermès que méditait André Chénier, et dont il nous reste quelques beaux fragments. C'était le rêve de Gœthe, et le Second Faust, sous sa forme symbolique et souvent si étrange, n'est qu'une demi-réalisation de cette pensée à la- quelle un poème grandiose, toujours entrevu et jamais com- posé, devait servir d'organe. Que de poètes plus obscurs ont fait quelques pas dans cette voie, et se sont arrêtés, découra- gés par les difficultés de l'exécution! C'est que pour mener à bonne fin une tentative aussi hardie, il ne suffit ni de cette souplesse d'espritqui se révèle par l'heureux choix des termes et la facture habile des vers, ni de cette richesse d'imagination qui voile sous une image la sécheresse d'une formule, ni de cette universalité de connaissances qui sache embrasser dans les limites d'une conception poétique les horizons toujours plus vastes de la science. Il faut avoir du génie, et les forces colossales d'une intelligence comme celle de Gœthe seraient à peine égales à un tel effort. Cependant un poète contemporain, chez lequel la force