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158 voulu le laisser ainsi pour lui éviter les douleurs des premières opérations. Tout en agissant, je l'avais observé : il était b e a u , gracieux de formes ; sa figure devait avoir été belle et gracieuse aussi : il pouvait avoir 22 ou 23 ans. Ne vaudrait-il pas mieux qu'il fut mort ? me disais-je à part moi, quelle existence va devenir la sienne, s'il vit, horriblement défiguré qu'il sera ! Et encore vivra- t-il ? j'aurai à combattre là une cause morale d'une force et d'une action peu commune, et difficile par suite à réduire. Je ne pouvais alors attendre des secours efficaces et curatifs que du père et de cette jeune femme qui m'in- téressait tant. Puis laissant de côté ces sentiments pénibles, l'homme fit place an docteur ; j'appelai à moi l'observation et l'analyse ; je concentrais toute mon attention à recueillir les premières sensations, les premières paroles de mon jeune suicidé. Pour lui il était bien et dûment mort; il avait opéré la brutale séparation, sa vie n'était plus. Je parvins avec assez de peine à le faire sortir de l'anéantissement profond dans lequel il était plongé ; je regrettais seulement de ne pas voir ses yeux cachés par les bandages. Peu à peu le retour à la vie s'annonça par des mouve- ments nerveux lents et pénibles ; puis il aspira l'air longuement, et il articula quelques mots inintelligibles et confus. Le vieux colonel le suivait d'un œil inquiet ; la jolie figure de femme ne respirait plus, elle couvrait une des mains du blessé de ses larmes qui s'étaient enfin fait un passage. C'était un solennel moment !