Pour une meilleure navigation sur le site, activez javascript.
page suivante »
                     POÉTIQUES CONTEMPORAINES                    257

   Mais on se tromperait singulièrement si l'on ne voyait
chez l'auteur du Semeur de Cendres ( i ) — c'est le titre de son
livre — qu'un poète descriptif. Il n'est pas que cela, ou plu-
tôt, quand il l'est ce n'est qu'accidentellement ou pour
encadrer en quelque sorte sa pensée grave et sentimentale.
Car ce poète est un tendre. Les souffrances de l'amour, ses
joies si brèves, la dure destinée séparant deux cœurs qui se
cherchent, le devoir austère qui dresse une barrière d'airain
entre les âmes choisies, c'est tout cela qu'exprime le beau
talent de Charles Guérin. Il est tels de ses vers qu'on
n'oublie plus quand on les a lus. Outre la beauté de la langue,
la pureté de la forme fidèle au vers classique, on y rencontre
des trouvailles d'expression qui retiennent et qui charment.
         L'hiver a, cette nuit, une odeur de printemps...
         Comme un ange déchu qui marche dans ses ailes. . .

         Voici devant mes yeux la table coutumière,
         Les livres, la sébile où le sable d'or luit,
         Et l'encrier, citerne obscure dont la nuit
         Se répand sous tes doigts du poète en lumière. . .
         C'est vous, voluptueux Chénier,vous, grand Virgile,
         Que j'ouvre aux jours dorés de l'automne, en rêvant,
         Le soir dans un jardin solitaire et tranquille
         Où tombent des fruits lourds détachés par le vent.

  Il a de surperbes cris de désespoir :
         Va, le destin te marque un austère devoir,
         N'y manque pas ; voici la route, je demeure
         Seul au sommet désert du coteau jusqu'au soir
         Attendant que ta forme au loin dans l'ombre meure.
         Va, tu seras heureuse et frère ; tu vivras
         Gravement dans la paix de ton âme affermie.
         . . . Que la grâce de Dieu te garde, mon amie.


  (1) Mercure de France.
   N° 4 . — Octobre 1901.                                       17