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256 CONSIDÉRATIONS SUR QUELQUES ÉCOLES
champêtre; on se détourne de la terre et l'on accourt dans
les villes grossir les torrents humains.
Soyez donc louée, Madame, d'avoir célébré la vie des
choses, des animaux, de la terre, à un moment où les com-
plications psychologiques sont à la mode et où les gens du
monde et des salons affectent un lourd mépris pour le sol
que vous ne craignez point de magnifier en ces termes :
Vous en qui le sommeil du monde est enfermé,
Terre de long repos et de longues délices
Dont le coeur ténébreux et rude est parfumé
Par les cèdres profonds et la douce réglisse,
Vous êtes l'urne auguste où les temps sont groupés,
La Nature sur vous se balance et s'égoutte
Comme un feuillage épais que la pluie a trempé
Et qui laisse pleuvoir son onde sur la route.
Il n e faut pas c h e r c h e r d a n s les v e r s d e C h a r l e s G u é r i n
un amour aussi d é b o r d a n t de la N a t u r e . S a n s d o u t e il
l'aime aussi. Les vers suivants en sont la preuve :
Je vais sur la pelouse humide de rosée,
D'un pas léger, les yeux riants, l'âme brisée
De tendresse, de joie indicible et d'amour.
Le jour descend en moi comme un baiser. Le jour
Me pénétre et m'enlève à la terre. J'adore.
Le jardin resplendit sous le ciel frais. L'aurore
A troué les pins drus et noirs d'un rouge orteil.
Une perle d'eau claire étincelle au soleil,
L'herbe est comme une mer où l'onde poursuit l'onde.
L'allée a de lascifs contours de femme blonde.
Le lierre en feu frissonne à la crête d'un mur.
Un oiseau que le vent balance dans l'azur
Chante dans le bouleau sans feuille encor. Je rêve,
Au sein d'une lumière heureuse, ivre de sève
Et d'air, le front tourné vers l'Orient, et tel
Qu'un jeune dieu qui vit son matin immortel.