page suivante »
70 AIIMF.D Ahmed partit en courant vers le Golgotha; il voulait voir une dernière fois le bon Jésus, il voulait sentir encore son doux regard de pitié s'abaisser vers lui comme une caresse de l'âme. Au sommet de la montagne chauve, la croix était dressée. Ahmed ne vit ni les soldats assis à terre, jouant aux dés, ni les deux voleurs suppliciés à droite et à gauche de Jésus; ni Jean, ni Marie, enserrant dans leurs bras le pied de la Croix. Il ne vit que le Crucifié, le sang qui dé- gouttait de ses pieds et de ses mains, sa poitrine haletante, sa figure couverte d'une sueur d'agonie. Un spasme de dou- leur contracta la face de Jésus : « J'ai soif! » dit-il. Ahmed courut vers les soldats, prit une éponge dans le vase où ils avaient mélangé l'eau et le vinaigre, et, la mettant au bout d'une pique, l'approcha des lèvres de Jésus. Mais la voix de Torquatus, brutale, le fit tressaillir : « Ahmed, laisse-là ce Nazaréen ! Tu n'as pas à le servir : s'il est le roi des Juifs, qu'il appelle ses esclaves! » Ahmed ne pouvait détacher ses regards de Jésus : « Comme il souffre ! » pensait-il : et naïf il voulut calmer la douleur du Crucifié. Il s'accroupit non loin de Jean et de Marie, et, frappant dans ses mains pour marquer le rythme, il commença très doucement une chanson que les femmes de la Lybie disaient en berçant leurs négrillons : « Aïssa au désert s'en est allé; il sait tirer de l'arc, et, pour tuer les antilopes, porte deux lances pointues. E la la, é la ! « Aïssa joyeux est revenu; sur son dos sont deux ga- zelles; mais son cœur, de surprise, a bondi; l'oasis est silen- cieuse. E la la, é la! « De douleur il a pleuré; les palmiers sont coupés, le puits est rempli de sable et la hutte est déserte. E la la, é la! « De douleur il a pleuré ; Akka son épouse, et ses petits enfants, le voleur les a ravis. E la la, é la !