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                             AHMED                             69

 Juifs haineux qu'il haïssait et descendit dans le corps de garde.
    Fébrile, il fourbissait le glaive du centurion Torquatus,
 quand soudain il se dressa stupide. Violemment la porte de
 la salle s'était ouverte, et des soldats, brutes grossières en-
 rôlées dans le pays des Scythes, poussaient devant eux
 Jésus. Ils l'avaient revêtu d'une robe rouge, et sur sa tête
 ils avaient placé des branches épineuses tressées en cou-
 ronne. Ahmed, immobile, les yeux fixes, regardait cette
 apparition. Les épines s'enfonçaient dans la chair de Jésus;
 de minces filets de sang coulaient de son front sur ses joues
 et sa barbe, et sa face souillée en semblait plus pâle encore.
 Mais ses lèvres s'agitaient comme pour une prière, et, dans
ses yeux, Ahmed ne vit pas de haine. L'esclave compara
 sa douleur à celle de Jésus, et sentit que Jésus était meilleur
que lui:
    Les soldats, en riant, fléchissaient le genou et disaient :
 « Salut au roi des Juifs ! » Puis ils le frappaient au visage :
Jésus priait. Ahmed souffrait de sa souffrance, et ne com-
prenait pas cette douceur plus qu'humaine. Brutal, Tor-
quatus le saisit par l'épaule et le jeta à genoux devant Jésus:
« Roi des Juifs! cria-t-il, voilà ton esclave Ahmed ! »
Tremblant de tous ses membres, le nègre baisa la robe
sanglante du Christ et balbutia : « Maître, je serai ton
esclave ! » Jésus le regarda, et ses yeux étaient remplis d'une
pitié si tendre qu'Ahmed murmura : « Tu es bon ! » Et
brusquement il sortit, car il n'osait pleurer devant les sol-
dats.
                                  *
                                **
    Vers la sixième heure, le ciel s'obscurcit ; des corbeaux
croassèrent en volant autour du Temple, comme s'il eût
renfermé quelque cadavre. Le Christ allait mourir, le
Christ dont le seul crime était d'avoir secoué l'esclavage de
la loi pharisaïque.