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DE JOSÉPHIN SOULARY 329 La mort qui, le plus souvent, ensevelit à jamais ceux que, de leur vivant même, on appelle les disparus, a amené, au contraire, pour Soulary, une sorte de résurrection. Paris, si peu soucieux des gloires de la province, se souvint cependant qu'autrefois les Sainte-Beuve et les Jules Janin avaient salué, comme une trouvaille, les premiers sonnets du penseur retranché bientôt dans sa solitude fière et laborieuse. Et si j'ose, dans cette occasion solennelle, employer un mot de l'argot litté- raire, je dirai que notre poète eut à ce moment une bonne Presse, béné- fice qui lui avait été souvent refusé à l'heure du combat. L'ornteur fait l'éloge du monument et des artistes qui ont contribué à son érection, puis il définit ainsi l'œuvre de Soulary : L'élégance de la forme, qui pourrait la lui contester? On a parlé de la science calculée d'un mosaïste, du burin d'un Cellini, du pinceau d'un Meissonier. Ces vers exquis, je souligne le terme avec intention, c'est bien la main d'un maître qui les a gravés et ciselés ; ils atteignent la perfection. Sur ce point, tous sont d'accord. Mais la note sensible, celle qui remue les cœurs, celle qui amène au coin de l'œil une larme furtive sous l'empire d'une émotion vraie, notre poète a-t-il su la faire vibrer? Si vous ne la trouvez pas dans les Deux Cortèges, dans les Regrets Eternels, dans l'Escarpolette, où la cher- cherez-vous? C'est là , et dans bien d'autres pièces dont je pourrais dresser toute une liste, qu'apparaît le mieux cette mélancolie voilée qui donne tant de charme à l'œuvre de Soulary. Faut-il essayer de définir l'état dans lequel son âme a paru se complaire? J'emprunterai volontiers pour le décrire une expression tombée, je ne sais plus à quel propos, de la plume de Cuvillier-Fleury. L'éminent critique a parlé quelque part de la tristesse résignée, compagne de la grande expérience. Ne vous récriez pas à ce mot d'expérience : il n'est pas fait, direz-vous, pour les poètes dont la nature impressionnable, mobile comme la sensitive, ne s'accommode guère des leçons qui résultent des choses vécues. Ils s'imposent cependant, ces fruits d'une maturité précoce, ils s'imposent à la rude école de l'adversité, celle que Soulary a connue. Oui, n'est-ce pas? qu'il doit avoir particulièrement senti le fardeau de la lutte pour