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208 MON AMI GABRIEL inconnue du théâtre ne fût la même personne. En effet, j'avais remarqué l'émotion de Gabriel dans ces deux cir- constances. Mais pourquoi cette émotion ? et qu'est-ce que cette femme pouvait avoir à me communiquer? J'avoue que je fus saisi d'un battement de cœur en franchissant le seuil. Le jour baissait; l'inconnue avait sans doute choisi à dessein cet instant favorable à une pénible confidence. Quoiqu'on fût au mois de mai, un grand feu brûlait dans la cheminée ; c'est à cette lumière incertaine que je vis une ombre noire se lever et m'indiquer un siège. Peu à peu, je pus distinguer ses traits, malgré le soin qu'elle prenait de dissimuler son visage dans l'obscurité. Je ne me trompais point : c'était la même femme, c'étaient les mêmes yeux, fiévreux et maladifs, qui m'avaient si fort impressionné. Une tresse blonde et soyeuse, seul reste d'une beauté ruinée par la souffrance, tombait né- gligemment sur son épaule, rejetée comme une parure inutile ; ses mains, encore plus pâles que son visage, se croisaient sur ses genoux et pressaient un chapelet de perles. Il me semblait que, debout derrière elle, la mort attendait sa proie. Je n'oublierai jamais ce spectacle. . Elle se taisait, comme pour vaincre une dernière répu- gnance ou se ressouvenir de ce qu'elle voulait me con- fier. Puis elle leva la tête avec un triste sourire. — Monsieur, me dit-elle lentement, vous trouvez cette démarche bien singulière, sans doute. C'est une fantaisie de malade, et je n'ai pas le temps d'attendre une présentation... Vous êtes l'ami de M. Gabriel Rey- naud, je vous ai vus ensemble au théâtre. J'aimerais à m'entretenir avec vous de son grand cœur et de ses nobles qualités, si je n'avais hâte de vous apprendre de quelle manière je l'ai connu... Mais peut-être vous a-t-il parlé