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	LE CHATEAU DE CARILLAN. 443 gement à vue dans ce décor. Nous nous trouvions au pied de quelque côle abrupte, déchirée de rochers, auxquels le soleil prêtait des proportions et des nuances bizarres. La rivière se resserrait brusquement et franchissait le défilé avec un rapide courant. Dans ces passages peu profonds, nous apercevions des blocs de rochers bleuâtres et de grandes végétations échevelées qui glissaient rapidement sous la barque, en lui dérobant les secrets d'un monde sous-marin et féerique. Après ces rapides, le Doubs reprenait ses fonds insondables. Son eau paraissait sombre et noire, bien qu'elle jaillît en gouttes de cristal sous la proue de la barque. D'après l'escar- pement des hautes parois de roches qui plongeaient à pic dans l'eau tranquille, je supputais l'effrayante profondeur du vallon que remplit la rivière et je me prenais à frissonner en réfléchissant que j'étais suspendu sur cet abime, isolé de lui seulement par la frôle ressource d'un esquif que le vent sem- blait à tout moment devoir renverser. J'étais le seul d'ail- leurs à trembler ainsi: M. Gérard paraissait sommeiller et M. Pivalle fumait toujours tranquillemenl, quittant parfois son cigare, comme si, séduit par les beautés de la route, il eût été jaloux d'en éveiller les échos. De temps en temps aussi, il complimentait notre pilote au sujet de sa manœuvre, qui me paraissait par moment assez difficile. Peu à peu, le soleil s'éteignit. M. Pivalle fumait toujours mais chanlait plus rarement. M. Léon Gérard s'était tout à fait endormi, et moi je cessais de regarder el d'entretenir Julien. Si tu songes combien la silualion, l'heure el le spectacle étaient faits pour m'impres- sionner , d'autant mieux que je n'avais jamais rien vu dans de semblables conditions, tu ne t'étonneras pas que j'y fusse entièrement captivé. Les images se confondaient insensible- menl dans l'obscurité. La rivière , qui brillait presque tou- jours comme une lame d'argent, se perdait aussi parfois dans
