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	 386                LE CHATEAU DE CARILLAN.
  Pouvais-je briguer la société de cette jeune fille pour lui dire
  ou lui faire comprendre que je ne l'aimais pas; qu'elle avait
  imaginé ce qu'elle espérait, en croyant si facilement au brus-
  que aveu d'une tendresse qu'elle seule éprouvait? Fallait-il,
  au contraire, loin de la détromper, cultiver son erreur, et
  lui donner de nouvelles preuves d'un amour imaginaire ? De
  telles questions étaient toutes résolues par la plus élémen-
  taire délicatesse.
     Je pris le parti de n'attacher aucune importance envers
 mademoiselle Marguerite à sa tendre méprise , de continuer
 à la voir de loin et indifféremment comme par le passé. Une
 telle conduite ne pourrait manquer de l'étonner d'abord ,
 mais de lui être expliquée ensuite par la réflexion. Je persis-
 tai donc sans affectation, sans empressement, à faire usage
de mon balcon... Mais je ne revis plus mademoiselle Laval !
En vain la cherchai-je des yeux dans son jardin et la petite
partie de son appartement où mon regard pouvait pénétrer !
    J'en fus d'abord étonné, puis désappointé, enfin tout à fait
chagrin.
    Mademoiselle Marguerite se regardait donc comme offen-
sée par moi ! Et qu'y avait-il de plus éloigné de ma pensée
qu'une semblable intention ? J'étais vivement peiné du cha-
grin qu'involontairement j'avais dû lui causer. D'autre part,
sa vue était devenue comme le soleil de mon horizon. J'en
sentais le prix avec la privation. Je m'étais cru indifférent; il
me sembla découvrir que je ne l'étais point. Pour peu qu'on
prolongeât envers moi ce système de froideur et d'absence,
j'allais m'avouer peut-être aussi passionné que mademoi-
selle Marguerite, si tendrement aveuglée par l'amour.
    Je fus pendant un mois environ en proie à un sentiment
dont l'impatience, la compassion, le dépit formaient les
nuances. Je ne connaissais pas l'amour, mais il me semblait
pouvoir affirmer que je n'en éprouvais pas encore. Je présa-
					
		