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64 POÉSIE, AMOUR ET MALICE. me précipitai dans la campagne, malgré les prières de tous les F.... qui voulaient en vain me retenir, réassurant que je marchais à une mort certaine, que les brigands étaient nom- breux ; dans ce moment même, deux pétards firent explosion presque simultanément et courant à l'endroit où ils avaient écla- té, je lâchai mes deux coups de fusil et revins pour recharger mon arme. Tous les habitants de la maison étaient dans la chambre d'entrée, munis pour se défendre de ce qui leur était tombé sous la main. M. F...., petit homme, brandissait un sabre de cavalerie presque aussi grand que lui ; sa femme avait pris un couperet, leur fils tenait un pistolet de chaque main, la domestique avait un immense tourne-broche, M. Mussard, moins intéressé dans l'affaire, s'était mis en observation à la fenêtre et criait au voleur à pleins poumons. Moi seul, mon arme rechargée, je m'élançai une seconde fois dans le jardin, où quatre ou cinq nouvelles détonations m'accueil- lirent; j'y répondis en faisant feu moi-même et bientôt je me mis à la poursuite des brigands qui s'enfuyaient. Je courus jus- qu'à l'extrémité du clos. Là , mon insomnie et mes préoccupations de la veille, mon agitation, puis sans doute quelque inquiétude sur le résultat d'une espièglerie dont les proportions grandis- saient, tout cela provoqua un saignement par le nez: alors, m'arrêtant sur le gravier de l'avenue qui bordait la propriété, je teignis de couleur pourpre les cailloux qui m'entouraient et profitant de mon hémorrhagie, je l'exploitai au profit de mon héroïsme et revins en disant que j'avais blessé un brigand qui ne s'était échappé qu'avec peine en franchissant la haie de clôture. Les douze détonations ayant eu lieu successivement, j'affirmai que nous étions sauvés ; on me combla d'éloges, de bénédictions, je fus proclamé le libérateur de la maison ; mon courage, mon sang-froid défrayèrent pendant plusieurs jours les conversations du faubourg tout entier; car cet événement prit des proportions énormes. Un procès verbal fut dressé par le maire et un rapport fait à l'autorité supérieure ; des poursuites furent dirigées contre des gens soupçonnés bien à tort d'être les auteurs du guet-apens. La police mit ses gendarmes sur pied. Il y eut même des per-