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               Kî DE LA POLÉMIQUE RELIGIEUSE.                  153
 expédier son passeport ? » La question étant plus indécise que
jamais, on a recours, pour la vider, à l'expédient de parier au
plus gros mensonge, « car, dit encore l'apothicaire qui n'a pas
meilleure opinion de lui que des autres, la vérité n'habite guère
avec quatre compagnons comme nous. » Le défl accepté, chacun
se met à raconter à son tour une histoire où il enchérit de men-
teries sur le précédent, et l'avantage paraît rester au moine
quand le pèlerin s'étant avisé de dire que, dans tout le cours de
ses voyages, il n'a pas rencontré une femme de mauvaise humeur,
les autres se récrient unanimement, et déclarent que voilà en effet
le plus gros de tous les mensonges. Le pèlerin a donc gagné le pari.
    Inutile de dire que ce sujet assez profane en lui-même est
traité avec un esprit épigrammatique dont les bons mots défient
souvent la citation. Heywood se joue avec un rare bonheur dans
ces médisances contre le clergé ; il excelle à provoquer les ré-
parties, à grouper les traits risibles d'une caricature, à faire
passer insensiblement de la bonne humeur au fou rire ; quelque-
fois aussi il s'échappe en saillies d'une imagination digne de
Rabelais. Le récit de l'indulgencier est un chef-d'œuvre en ce
genre. L'originalité se mêle à la parodie dans celte odyssée du
moine qui, après avoir vainement cherché en purgatoire l'âme
de sa commère Margery, va en enfer continuer ses explorations ;
sur le seuil il rencontre un bon diable de ses amis qui lui obtient
un passepoit pour les états de Sa Majesté diabolique, avec lequel
il se présente dans une grande salle où il trouve les démons en
train de se lancer des âmes de damnés sur des tisons ardents en
guise de raquettes. Sa présentation à Lucifer et les compliments
adroits qu'il imagine de lui faire sur ses vices et • sa laideur si
                                                    <
bienséante à un démon, » son plaidoyer éloquent en faveur de
Margery, que Lucifer n'a pas de peine à relâcher, vu l'embarras
que lui causent ses prisonnières ; enfin, la rencontre et la déli-
vrance de la nouvelle Eurydice, que le moine trouve à la cuisine
tournant la broche conformément à ses anciennes habitudes ;
lous ces incidents assez froids à l'analyse sont animés à la lec-
ture par une verve entraînante de talent. Le moine, avec ce
naturel du menteur qui affecte la précision pour donner du poids