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DE L'UNITÉ DES ARTS. 385
des artistes. Par suite des mille exégèses aventureuses faites par
les poètes modernes sur Beethoven et les premiers symphonistes
allemands , nos musiciens ont souvent masqué la pauvreté de
leur inspiration mélodique , sous des prétentions à la couleur
pittoresque ou à la philosophie démonstrative. On nous a donné
des symphonies pour raconter la découverte du Nouveau-Monde,
et pour prouver l'immortalité de l'âme. Notre instruction est loin
de gagner, à ce système musical, tout ce que nos plaisirs y ont
perdu.
En même temps que l'on se préoccupait si fort de ridée et
du symbole dans la peinture et dans la musique, on s'inquiétait
beaucoup de la couleur, du relief, de la forme plastique à propos
des vers et de la prose ; on voulait forcer le style écrit à pro-
duire , en quelque sorte, son effet sur la vue et sur le toucher.
La poésie luttait ainsi avec la peinture dans le monde de la sensa-
tion, comme la peinture voulait lutter avec la poésie dans le monde
de la pure intelligence. Après l'excès des formes abstraites dans le
style qui avait signalé la littérature du dix-huitième siècle, l'é-
cole moderne, en restituant à la poésie la richesse des figures,
n'a pas su toujours se garantir, même chez les maîtres, d'un
excès de pittoresque qui aboutit, chez les imitateurs, à la maté-
rialisation la plus grossière de la pensée. Un style qui n'éveille
plus que de vagues sensations, au lieu de donner des idées claires,
tel a été le résultat final de ces empiétements téméraires de la
poésie sur la peinture.
De leur côté, tout en affectant un genre de signification qui
leur est interdit, tout en ayant la prétention d'émettre leurs
idées dans les mêmes conditions que la parole, la peinture et la
musique, sorties aussi de leur voie légitime , sont descendues,
- de nos jours, jusqu'Ã faire aux sens, par les moyens les plus
violents, un appel exclusif de tout sentiment délicat et de foute
jouissance intellectuelle. Ainsi, des œuvres qui ont pour résul-
tat de produire, chez le spectateur, tout à la fois le vague du
rêve et la réalité brutale de la sensation, voilà ce qu'engendre,
au sein des arts, l'ignorance de leurs rapports véritables et de
leurs limites éternelles.
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