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116 M. A.-C.-H. TR1M0LET.
mains aux plus infimes, vous riez ; vous ne pouvez croire à ces
mille parfums, à ces mille rayons du trône, qui vous enivrent,
vous éblouissent et répandent en vous un trouble qu'on ne peut
surmonter!... Que voulez-vous , j'étais, et je suis encore bien
nerveux , bien impressionnable ; je ne pus, malgré tout le rai-
sonnement que je me faisais, maîtriser un léger tremblement
qui s'emparait de moi !...
Pourtant je conservai assez de sang-froid pour placer, aussi
convenablement que possible, le fruit de mon labeur dans le
salon de la reine, qui, depuis les lambris jusqu'au plafond, était
décoré d'une masse énorme de sculptures dorées qui écrasaif
d'une manière désolante ma pauvre peinture.
Si les peintres fréquentaient les palais, ou habitaient des ap-
partements dorés, tendus de riches étoffes, enrichis d'immenses
glaces et de tout le luxe des mille choses brillantes qui ordi-
nairement les décorent, à coup sûr ils finiraient par peindre
comme Boucher des amours aux culs roses et des ciels sans
nuages ; car la peinture sévère ou sage est triste, noire, en un
mot annihilée par l'éclat qui l'environne.
J'en étais à regretter que mes tristes moines ne pussent, par
enchantement, se transformer en nymphes aériennes, voltigeant
sous un ciel pur et éblouissant, lorsque Sa Majesté parut accom-
pagnée de M. le comte de Costa qui était allé la chercher.
Charles-Albert regarda mon tableau avec beaucoup d'atten-
tion et en silence, l'espace de quelques minutes qui me parurent
des siècles ; ensuite, se retournant, il m'adressa des éloges aux-
quels je fus d'autant plus sensible qu'ils portaient sur les par-
ties que je sentais n'être pas les plus mauvaises de mon ou-
vrage... En somme, il me parut content et daigna me le dire.
J'étais heureux ! il faut si peu à l'homme pour lui donner de la
joie ou le désespérer. S'il m'eût dit ce que je pensais depuis un
moment, ou ce qu'un négociant n'eût pas manqué de faire pour
obtenir un rabais : Mon cher, c'est pitoijable ! que serais-je
devenu ? Cette réflexion me glaça le sang un instant... Les paroles
d'un roi sont de plomb ou de miel, heureusement il ne sortit
pour moi que des douceurs de la bouche royale.