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ÉLOGE DE IA PEUR. 325 pour un mot, percent d'une épée le sein de leur meilleur ami, ou qui brisent avec du plomb la léle de qui les regarde de travers ; jouissances féroces, douceur sanguinaire dont les pol- trons se privent volontiers, sans que je leur sache bien mauvais gré de s'abstenir de semblables gentillesses. Oui, leur com- merce est doux et facile, leur humeur conciliante, leur pru- dence exemplaire; ils regorgent d'égards pour tout le monde : il ne vous en cuira jamais de leur confier la direction de vos plaisirs ; donnez-leur les rênes du cheval qui vous traîne, le gouvernail de la nacelle qui vous porte, et vous êtes assurés de rentrer sain et sauf chez vous. Un roi n'est poltron que pour le bonheur de ses sujets, il vise plus à ajouter à leur existence, qu'à son territoire; il n'aime pas la guerre parce qu'on la ferait sans lui; on ne meurt que plein des jours à son service, il ne fait travailler personne afin de ne pas travailler lui-même à son tour, il en est sans cesse aux poignées d& main ; el je ne puis m'empô- cher de déplorer qu'au lieu de rois fainéants la France n'ait pas eu et n'ait pas sans cesse des rois poltrons; quelle sécu- rité pour ses voisins si souvent victimes des caprices belli- queux de ses monarques ! Que de fats dont l'impertinence est bridée par la peur ! Que d'orgueilleux irrités faisant les poings dans leurs poches, et qui sans elle nous les mettraient sous le nez ! Que de jeunes noblesfluetsréduisent leur dépit colossal aux frêles proportions de leur corps, en face des épaules carrées de l'obscur plébéien qui se permet d'avoir raison avec eux ! Que de lâches hypo- crites répondent par un doux sourire à l'âpre franchise de l'homme robuste qu'ils n'osent frapper. Dans ces divers cas quel est le sentiment qui, veillant à la porte du cœur de l'hom- me, en reçoit la consigne prudente de ne point laisser sortir les méchantes passions qui voudraient faire explosion? La peur, c'est elle aussi qui, bien souvent, donne à la figure et aux manières des puissants de la terre, le bienveillant domino dont elles s'enveloppent et se déguisent, car, de même qu'un amant très certain d'avoir plu à sa dame, a peu d'entrain pour chercher à lui plaire encore, de même l'homme au pouvoir, assuré de s'y maintenir, dédaigne de capler les bonnes grâces de ses gouvernés; mais qu'une vive anxiété vienne à le saisir sur son trône maroquiné qu'ébranle le souffle puissant de la nalion, oh! alors regardez-le; le peuple qu'il traitait un peu comme sa femme, redevient sa maîtresse; il n'est plus en mé- nage, il fait encore sa cour, il est galant, il ne se néglige plus