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LETTRES SUR LA SARDAIGNE. 223 profite à leur prêtre qui jouissent d'une douce aisance et d'une santé magnifique. Les dîmes , prébendes et redevances, aux- quelles il a droit, produisent des revenus superbes au recteur du village. Vénérable pasteur, il surveille lui-même ses bœufs el ses moutons, dont la beauté et la vigueur sont chèrement estimées en Sardaigne. Le saint homme , une des gloires du clergé sarde , a toujours refusé les évêchés qu'on lui a pro- posés ; il est vrai que les revenus en étaient moins beaux que celui de son rectorat; mais je serais un ingrat si je me per- mettais, à l'endroit de son désintéressement, le moindre doute irrévérencieux. Ayant appris qu'un noble étranger, arrivé à Paoli-Latino, était descendu à la locanda et n'était pas allé lui demander l'hospitalité, il eut la politesse de se dire offensé, et m'envoya un de ses vicaires , à l'effet de me faire savoir qu'il m'attendait à dîner pour le jour même el pour tout le temps de mon séjour au village. C'eût été cependant grand dommage de ne pas être des- cendu a la locanda , et, une fois descendu, de n'y pas rester: j'y restai donc. C'était un établissement vraiment intéressant par lui-même et par les individus qu'il renfermait. L'auberge se composait de deux étages. On entrait dans un vestibule: à droite , était la cuisine ; à gauche , l'écurie. Un escalier en pierre, tout à fait monumental conduisait à deux chambres à coucher; dans l'une, le plancher manquait; dans l'autre, on avait négligé, à l'époque delà construction, de poser les vitres aux fenêtres. De petits polissons, me dit mon hôte , les avaient cassés, il y avait un jour ou deux , et il attendait un vitrier ; il l'attendait depuis trente ans. Cet hôte était bonhomme , réjoui et farceur, quoiqu'il fut sec et maigre comme un traître de mélodrame. C'étaient de grands revers de fortune qui l'avaient réduit à tenir une locanda ; la po- litique même et le changement de royauté n'étaient pas étrangers à sa ruine. Il parlait beaucoup de sa haute position