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212 DERNIÈRtiS JOURNÉES bras. Si l'on doit me tuer, je veux le voir, je veux, le voir ! » répétait-il. Aux Tuileries également, il y a eu des scènes de dé- solation au départ de la famille royale. Le soir, un huissier qui s'y trouvait encore, disait à notre ami le garde national : — « Ah! Monsieur, une heure avant on n'y pensait pas. » — Cela est si vrai que, dans la précipitation et le trouble, la duchesse de Montpensier, cette belle et jeune infante dona Luisa dont le ma- riage avait fait tant de bruit et mis en émoi la diplomatie, fut oubliée , seule , faible , encore à demi étrangère et dans un état de grossesse déjà avancée. Elle erra d'appartement en apparte- ment , voulut sortir par un escalier dérobé qu'elle connaissait mal, descendit, se perdit dans les caves , remonta et se trouva dans une salle où elle entendait, dans la salle voisine, le tu- multe , les cris du peuple et les coups de fusil. Elle fut prise d'un tel saisissement, qu'elle restait là , n'osant, ne pouvant plus remuer. Heureusement un habitué du Château la découvrit, l'emmena et l'accompagna jusqu'en Angleterre. Son impression de frayeur était telle que , durant tout le voyage, qui dura trois ou quatre jours pendant lesquels elle ne se déshabilla ni ne se coucha jamais, elle ne voulut pas abandonner un instant le bras de son compagnon , et s'y tint toujours serrée comme si le dan- ger était encore là . M. Guizot et M. Duchâtel durent rester cachés plusieurs jours dans Paris, qu'ils quittèrent enfin sous un dégui- sement. Des gardes municipaux, poursuivis, ou échappés au massacre de leurs postes dispersés, dévorés, anéantis avec la rapidité de l'éclair, furent retirés dans des maisons particulières. Là , en toute hâte, on leur coupait leurs moustaches , on leur faisait changer d'habits : tout le monde, même les femmes, s'ai- dait à la transformation. Quelle scène enfin, parmi les dévasta- tions commises dans la banlieue, que celle de l'incendie de Neuilly, où une partie des incendiaires, descendus dans les caves, défon- çant les tonneaux, ayant du vin jusqu'aux genoux, trébuchant sur des débris de bouteilles, s'entretuant dans l'ivresse , furent oubliés par leurs compagnons ou s'oublièrent eux-mêmes, et brûlèrent avec le château. Mais, tragiques ou héroïques, d'une couleur gaie ou lugubre,