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208 DERNIÈRES JOURNÉES hâte , se remettre, « elle, pauvre veuve, » avec ses enfants, entre les bras de la nation. La confusion, le trouble, la rapidité des faits ne lui permirent pas d'élever la voix, et on l'entraîna à moitié évanouie. Elle s'était jetée, dit-on, aux pieds du roi, le suppliant de ne pas partir. Quelques jours auparavant, elle l'avait conjuré de changer son ministère. Tout avait été mutile. Rien n'avait pu fléchir ni éclairer cette vieille tête, obstinée et affaiblie. La popu- larité de la duchesse d'Orléans, l'estime du moins qu'elle inspi- rait, la différence que l'on mettait entre elle et les autres membres de la famille royale, rien de tout cela ne tint devant la véhémence du souffle populaire et l'explosion subite, le gigantesque élan de la révolution. La duchesse resta quelque temps cachée dans Paris, se cramponnant encore pour son fils à l'idée de ce trône si beau, mais si périlleux, qui déjà n'existait plus. Le peuple s'était assis sur ce trône aux Tuileries. Il avait pris plaisir, comme le véritable maître de céans, à siéger et à se carrer dans le royal fauteuil. Puis, il l'avait porté le soir même à la place de la Bastille ( c'est la première fois, disaient-ils à leur manière, que le trône s'appuie réellement sur le peuple), et, là , ils l'avaient solennellement brûlé au pied de la colonne de Juillet. Un ouvrier qui, dans le trajet, l'avait eu sur ses épaules, parlait avec exal- tation de ce moment, qui serait, s'écriait-il, sa gloire et le su- prême souvenir de sa vie. Ils avaient traité encore plus outrageu- sement la couronne, comme aurait pu le faire Panurge , afin que personne ne voulût plus la porter. Enfin, le peuple avait tout brisé et brûlé dans les appartements particuliers du Palais-Royal ; un feu immense s'élevait dans la cour, et quelques jours après , on y voyait des femmes occupées à gratter la terre pour y re- cueillir quelques paillettes d'or et d'argent, seuls restes de tant de meubles somptueux entassés en bûchers énormes et que les flammes avaient consumés. Les Tuileries furent moins dévastées; mais il y eut là aussi, dans le premier instant, des scènes pa- reilles. Chacun se choisit son trophée, plus ou moins bizarre , plus ou moins pittoresque ; les uns un lambeau de soie enlevé aux housses et aux rideaux , les autres une pièce de cuisine ou un vulgaire objet de toilette, des comestibles, une éponge , une