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201                    DERNIÈRES JOURNÉES
 prévision de la mort de Louis-Philippe, et ne comptait agir qu'à
  ce moment. Nous tenons nous-mêmes d'un fabricant qu'un ou-
  vrier lui montra un jour, il y a quelques mois, une poignée
  d'argent, et lui dit : « Je suis bien pauvre, mais voilà ce que
 j'amasse pour acheter de la poudre et en avoir, quand il le faudra. ><
 Les chefs de cette association, dont cet ouvrier faisait peut-être
 partie, voyant la tournure que prenaient les choses , jugèrent le
 moment venu, et, ajoute le journal, donnèrent l'impulsion. Puis,
 la révolution opérée, ils sont rentrés dans la foule et l'obscurité.
    La journée décisive du jeudi 24, plus décisive pour tout le monde
 que personne, même les plus ardents, n'aurait jamais pu l'ima-
 giner, a eu surtout pour caractère celui d'une immense démons-
 tration morale, qui, aidée de l'impéritie du pouvoir, de son aveu-
 glement, de son ignorance de la situation, de la lâcheté de ses
 amis, de la défiance, du mépris ou au moins de la complète dé-
 saffection du grand nombre, a tout renversé devant elle en un
 instant, tout chassé, tout balayé. La matinée vit peut-être s'éle-
 ver dix mille barricades dans Paris ; mais il n'y eut que deux
 coups de canon de tirés, et qu'un seul engagement sérieux, celui
 du poste militaire du château d'Eau devant le Palais-Royal. Des
 colonnes innombrables, mêlant à la Marseillaise le Chœur des
  Girondins qui en adoucit l'âpreté, partaient à tout instant des
 quartiers populeux, surtout du quartier Saint-Antoine, et se di-
 rigeaient sur le centre ; mais la plupart ne servaient qu'à renfor-
 cer et continuer l'élan, et elles arrivaient souvent que tout était
terminé.
    Témoin de la révolution de 1830, nous avons pu bien juger de
 la différence. En juillet, on constata douze mille morts, et il y en
eut probablement quinze mille en y comprenant ceux qui furent
jetés dans la Seine et dont les cadavres formèrent longtemps après
les attérissements sur les bords du fleuve. En février, il n'y a eu
en tout, de part et d'autre, à-peu-près par égales portions, que
trois ou quatre cents morts tout au plus. Ce n'est donc pas ici
 une véritable bataille comme en 1830, une bataille de trois jours
et d'une partie des nuits, qui, sur quelques points plus particu-
lièrement disputés, se poursuivit pendant trente-six heures avec