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160              LETTRES SUR LA SARDA1GNK

une source de richesses incalculables. Aussi, cher ami, si,
abandonnant vos rêves métaphysiques, vous voulliez entre-
prendre quelque spéculation industrielle, et que vous dai-
gnassiez adopter une idée étrangère, ce qui n'est guère pro-
bable de la part d'un philosophe, je vous engagerais à affer-
mer pour une dixaine d'années les forêts de Millis. Mais vous
auriez à vaincre la répugnance des Sardes, méfiants et
soupçonneux, et qui ne croient pas qu'il soit possible de
faire mieux ou autrement qu'ils ne font eux-mêmes. Au
fait, qu'ont-ils besoin qu'un étranger spéculateur vienne
leur apprendre, à son bénéfice, le parti qu'ils peuvent tirer
de leurs richesses. Ils sont heureux comme ils sont, laissons les
doncavecleurbonheur tels qu'ils l'entendent. Quant au devoir
que m'impose la reconaissance, c'est de vous parler du proprié-
taire de Millis, du marquis de Boy le et de sa royale et gracieuse
hospitalité. Son château, d'une élégance toute moderne, s'é-
lève au milieu de la forêt ; les maisons du village blanchies à
la chaux se groupent tout au tour, et semblent, vues du som-
met des collines , une volée de ramiers abattus sous les ar-
bres. C'est dans celte villa charmante que, voyageur inconnu,
je fus reçu comme une ancienne connaissance. Ce jour-là était
undimanche : j'aperçuslemarquisausorlirde l'église ; il était
entouré des habitants du village, qui adressaient à leur géné-
reux seigneur leurs hommages et leurs demandes. Par un
patriotisme plein de coquetterie, il portait un costume sarde,
en velours cramoisi, que rehaussait l'or de ses décorations
et du collier seigneurial. Il me fit l'accueil le plus bien-
veillant, le plus affable, et exigea, avec une grâce irrésistible,
que je restasse son hôte jusqu'au lendemain matin.

        {La suite à un prochain numéro).