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LETTRES SUR LA SARDAIGNE. 157 des lumières et célébrez les progrès de la civilisation, vous êtes un philosophe, et il n'y a pas d'opinion si ridicule, qu'il ne se soit trouvé un philosophe pour la défendre. C'est M. T. Cicéro, votre maître qui nous le dit. 0 pauvre Sar- daigne, que vas-tu devenir quand tes mœurs pittoresques, simples et farouches, quand tes costumes éclatants el tes forêts embaumés se seront effacées, ternies et profanées au contact des gendarmes, de la civilisation et de ce qu'on appelle le progrès? hélas ! une terre maussade et malheureuse, la patrie d'un peuple de mendiants, d'espions et de voleurs. Mais il le restera toujours ton soleil de feu dans ton ciel lumineux et limpide. Quand on a traversé les eaux cristallines du Tirse qui vont lentement se perdre dans le golfe d'Orislano. On entre dans un pays nouveau : c'est le cap supérieur. Adieu les plaines brûlantes, aux teintes fauves et hâlées, et les palmiers soli- taires ! adieu les steppes infinies, que traversent les troupeaux voyageurs, et les étangs immenses, où folâtrent les flamands, aux ailes roses, et les courlis étincelants ! adieu ces charmantes femmes, aux pieds nuds: troupe joyeuse qui descendait le soir, la cruche sur la tête, vers les fontaines voisines , et dansaient en rond au son de la laonedda, et ces Campidaniens, aux allures franches et gaies, si fiers de leurs cheveux tressés et de leur pourpoint de velours!... Une prairie, constellée de fleurs, s'étend au loin comme un (apis diapré. Des touffes d'herbes ondoyantes et de joncs triangulaires, qui croissent aux bords du fleuve, y dessinent des méandres capricieux ; au-dessus voltigent les libellules émeraudes et les martin- pêcheurs ; des forêts d'oliviers gigantesques de lièges et d'yeuses tapissent le pied des montagnes, qui s'échelonnen-t comme un vaste amphithéâtre jusqu'aux sommets neigeux de l'Arrizou. Les solitudes desséchées du Campidano font trouver plus séduisantes encore ces campagnes fraîches et