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450 LE SONGE D'UNE NUIT D'HIVER vue s'étendait au loin sur les plaines du Dauphiné, et qui dominait une coquette petite ville étagée à ses pieds jusqu'au bord du Rhône. La chambre à coucher du docteur lui ser- vait à la fois de bibliothèque, de cabinet de travail et même de musée d'anatomie, car il y avait au-dessus des livres force tête de morts, brachycéphales ou dolichocéphales, extraites des tombes préhistoriques de PArdèche, mêlées à des animaux empaillés ou à d'autres objets archéologiques. Ce pandémonium formait tout le premier étage du pavillon, dont la toiture rouge émergeait au milieu des arbres, et à qui une sorte de vérandah vitrée aux persiennes vertes, où l'on montait par un escalier tournant, donnait l'aspect d'un monstre marin menaçant de ses yeux glauques le paisible monde végétal qui l'environnait. La pièce du rez-de-chaussée, dont la porte était sur- montée d'une plaque de marbre noir portant l'inscription : A l'Amitié, avait longtemps servi de maison de santé au vieux médecin, à qui Claude avait succédé, et plus d'un pauvre diable y avait fait le grand saut dans l'inconnu. En faisant l'acquisition de l'immeuble, Claude avait créé l'étage supérieur pour s'isoler dans ses études ou ses rêveries, et y avait transporté tout le bagage littéraire et médical de la maison : livres, squelette, têtes de mort, pièces patholo- giques, instruments de chirurgie, même une inscription : Vita brevis ars longa, début d'un chapitre d'Hippocrate, et qui figurait jadis sur la cheminée du cabinet de consulta- tions de son prédécesseur. Ce pavillon, au moins l'étage supérieur, était dans la belle saison, un endroit charmant où l'on vivait, à l'instar de • certaines tribus sauvages, dans les senteurs des arbres et dans le monde des oiseaux, pouvant de la main cueillir le raisin des hautes treilles ou se faire un bouquet avec les