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              LES CONFESSIONS DE M me ARTHUS              349
 de ces larges cols blancs, de mode à cette époque. Cette
 blancheur faisait singulièrement valoir son teint mat et
 ambré. C'était, du reste, une fort avenante personne, mince
 et petite, avec une voix chantante et des yeux regardant
 bien en face, de bonne éducation, distinguée même, et
 soignée au possible, depuis sa bottine chaussant un pied
 un peu long mais effilé, jusqu'au chignon de ses cheveux
 châtains, enfermés dans une résille. Tout en suivant des
yeux, à chaque mouvement de sa mignonne tête, les
 oscillations de ce menu chignon sur le linge éclatant, je me
 demandais s'il ne se présenterait personne pour consoler ce
 veuvage prématuré et si ce col blanc ne serait pas le prélude
de toilettes moins austères.
    Il est probable que mes regards trahirent ma pensée ;
 car, tout à coup, comme enhardie : « Ah ! monsieur, c'est
une dure condition, celle des veuves ! » Et deux larmes
perlèrent au bout de ses cils.
   J'étais embarrassé, comme on l'est chaque fois qu'on se
trouve en face d'une confidence ambiguë, venant d'une
personne dont l'état d'âme ne vous est point familier. Pour
se sauver d'une maladresse, il n'est tel que de répondre à ces
ouvertures par une grosse banalité, et je n'y manquai pas :
   « Au moins, dans le commerce, vous aviez des distrac-
tions — distractions assujétissantes, parfois assommantes,
j'en conviens, mais qui enlèvent l'esprit à lui-même. Peut-
être avez-vous quitté les affaires trop tôt.
   — Oui, parlez-m'en, des affaires ! Le premier homme
venu, sous le prétexte d'une emplette quelconque, a le
droit de réclamer vos grâces et vos sourires, et de vous
imposer, à tout le moins, ses grâces à lui, ses fadaises enve-
loppant une déclaration plus ou moins bien déguisée, quand
ce ne sont pas de brutales allusions. Est-ce qu'on se gêne
avec une femme qui est marchande et veuve ! »