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542              UNE PROMENADE EN SUISSE



                      LETTRE Ve.
                          A Mâ„¢ P . ,
                                           i " août 1850.

          MA CHÈRE MÈRE,


   Cette lettre va vous porter sur les sommets les plus arides,
les plus sauvages, où les glaces nous envoient leur haleine,
où la froidure bleuit nos visages et nos mains. Imaginez-vous,
pour le moment, être à quelques 6000 pieds au-dessus du
niveau de la mer ; ajoutez, s'il vous plaît, que vous voilà
hissée sur un cheval dont les jambes, fatiguées d'une ascen-
sion à pic, doivent vous porter dans une descente plus péril-
leuse encore, rassemblez tout votre courage et suivez-moi.
   Nous descendons le versant oriental des Alpes intérieures,
c'est une vaste prairie dont l'herbe épaisse et serrée figure
un tapis de mousse ; • çà el là scintillent quelques flaques de
neige épargnées par le soleil, et tout à côté du milieu de la
sombre verdure de ses branches rampantes sourit la rose des
Alpes, comme pour montrer qu'il n'est point de lieu si désolé
où le souffle de Dieu ne puisse faire éclore des fleurs. Nous
marchions depuis longtemps et toujours devant nous s'éten-
dait le désert ; à peine au milieu de quelques rares sapins,
s'élevaient deux ou trois chalets, misérables asiles de bûche-
rons sauvages dont la hache meurtrière ajoute encore à la
dévastation de ces tristes pays.
   Mais peu à peu la contrée change d'aspect, et nous arri-
vons bientôt sous les ombrages épais d'une forêt immense
dont les arbres gigantesques se dressent sur nos têtes, cou-
vrant les flancs des montagnes et formant une voûte impé-
 nétrable aux rayons du soleil. Vous vous feriez difficilement