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98 enfumée, où je trouvai un vieux bon-homme entouré d'une épaisse et odorante vapeur de tabac. C'est un ancien serviteur de Voltaire, le fils de son jardinier. Son enfance a été contern" poraine de la vieillesse du philosophe. Autrefois, il guidait les étrangers qui venaient visiter Ferney. Maintenant ses jambes ne peuvent plus le porter : il est réduit à fumer sa pipe, le bon vieillard. Il me parla de Voltaire, l'appelant tou- jours Monseigneur , et me demanda si mon guide, son sup- pléant, m'avait récité l'histoire de Gibbon, celle dont je vous ai parlé. Je m'empressai [de lui répondre affirmativement, et je compris alors comment l'histoire et l'allée de charmilles étaient si exactement de la même mesure. Ensuite , il me montra une grande canne de buis qui avait servi à Monseigneur, et une perruque qu'il avait portée. Rira qui voudra de cet aveu ; mais j'ai cru à l'authenticité de ces deux objets. La respectable figure du vieillard, son air de vérité, m'ont paru une attestation suffisante. Je sais que dans ses impressions de voyage, M. Alexandre Dumas se moque beaucoup de la canne et du concierge. Assurément, mon té- moignage ne vaut pas le sien ; je raconte seulement ce que 'j'ai éprouvé. Le vieillard tira d'un secrétaire quelques papiers; l'un d'eux me parut assez curieux. C'est une grande feuille sur laquelle sont appliquées les empreintes des armes et des chiffres d'un grand nombre de personnes avec lesquelles Voltaire était en correspondance. Au-dessous de chacun de ces cachets, est écrit le nom de la personne que le cachet représente. A ce nom est jointe quelque épithète caractéris- tique. A la réception d'une lettre, s'il ne reconnaissait pas immédiatement l'écriture ou le cachet, Voltaire consultait ce tableau synoptique qui lui apprenait, en un clin-d'œil, le nom de son correspondant. Puis, selon que l'épithète était favorable ou désavantageuse, laletlre était ouverte ou jetée au rebut. Cette précaution ingénieuse n'était pas inutile au mi- lieu du déluge de lettres qui inondait Ferney. Je jetai ensuite les yeux sur une relation manuscrite de la mort de Voltaire,