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UN RÉVEILLON DE NOËL 283 On fait circuler les assiettes. Elles reviennent bien rem- plies d'une soupe au fromage qui paraît succulente. L'était-elle en réalité ? Personne ne l'a jamais su, car nul ne l'a goûtée ! Mon voisin faillit lâcher l'assiette que je venais de lui pas- ser, sous une secousse épouvantable, qui semblait provenir d'un soulèvement du sol, accompagné d'un bruit assourdis- sant. C'est une bombe qui vient nous visiter : « trop tôt, dit le lieutenant Guillaume avec son calme habituel. Ces gens là ne connaissent rien au service. Il fallait attendre le moment de l'entremets ».Où est-elle tombée ? Tous se lèvent. Dans la cour, à deux mètres du mur de la salle à manger, un grand trou noir dans la neige, laisse échapper un nuage de fumée. C'est une de ces énormes bombes sphériques lancées par des mortiers, qui, lorsqu'elles tombent sur le toit d'une maison, font un trou rond dans les planchers des divers étages autant qu'il y en a, et vont éclater à la cave. Quelques yeux inquiets interrogent l'horizon du côté du bois du Bosmont d'où nous est venu ce gêneur. La nuit est noire. Soudain une clarté lointaine s'allume et s'éteint aussitôt, puis un coup de canon, et un obus lancé des bat- teries d'Essert passe, avec un bruit métallique, au dessus du faubourg et va s'abattre en ville. Au même instant une petite flamme sortie des batteries du Bosmont s'élève comme une lente fusée jusqu'à une grande hauteur, décrit une courbe, puis descend avec une vitesse vertigineuse en roulantsuj elle-même, en grossissant de volume, en redoublant son infernale musique, à mesure qu'elle se rapproche du sol. Il semble que la bombe nous arrive dessus, mais non. Elle tombe de l'autre [côté de la maison, dans le jardin qui la sépare de la rivière la Savou- reuse, où elle fait, elle aussi, son trou noir dans la neige, avant d'éclater.