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DISCOURS DE M. « ' A I O K E P E R S E . '221
Lorsque le poète opposait ainsi l'une à l'autre, et comme
ennemies, ces deux nations, il était loin de prévoir qu'un jour
elles se fondraient ensemble pour n'en former qu'une seule
qui remplirait la terre de son nom.
L'exorde de son poème contre Rufin est le morceau de ses
ouvrages le plus souvent cité. Jamais préférence ne fut mieux
justifiée. Il y examine la grande question de la Providence
telle que l'expliquaient les philosophes païens. On dirait que
Platon en a fourni les pensées, que Lucrèce en a dicté les
vers. Si le poète se fût toujours soutenu à cette hauteur, sa
place se trouverait marquée entre Lucrèce et Virgile. Malheu-
reusement, il n'en est point ainsi.
Nous sommes heureux de nous arrêter à Claudien et de ne
pas poursuivre plus loin l'historique de cette décadence in-
tellectuelle qui a quelque chose d'humiliant pour l'esprit hu-
main. 11 nous reste maintenant à expliquer ses causes et Ã
montrer comment il advint que ces nobles facultés de l'âme
qui avaient résisté à toutes les révolutions, survécu à toutes
les catastrophes des empires, s'éteignirent lentement dans
une longue agonie qui dura plusieurs siècles.
Tant que le monde connu des anciens resta partagé en
états indépendants, il régna encore une sorte de liberté suffi-
sante pour protéger l'homme de génie persécuté dans sa pa-
trie. Ainsi, pour n'en citer qu'un exemple. Thucydide exilé
d'Athènes, se rifugia chez un peuple étranger, et la, grâce
aux lois de l'hospitalité si respectées des anciens, il put en
toute sécurité écrire ses œuvres immortelles. Mais lorsque
le monde entier fut réuni sous la domination d'un seul homme,
et que cet homme fut presque toujours un tyran, aucun lieu
de refuge ne put mettre en sûreté celui qui avait eu le malheur
d'exciter les craintes, ou seulement les soupçons des maîtres
de la terre. Partout, dans l'univers, une main puissante l'at-
teignit, sans qu'il pût lui échapper. Les nations étrangères et