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DES BEAUX ARTS. 89 jeetera l'énorme développement musculaire de certaines figures, ainsi que l'arrangement confus des groupes trop serrés, où l'air ne circule pas avec toute la réalité de la nature. A ce reproche que je reconnais fondé, je ne répliquerai que par un mot en plaçant en regard le geste impératif et l'expression du visage du proconsul, à cheval, qui montre au saint la route qui doit le mener au supplice, et l'étonnant raccourci de son bras droit étendu, l'une des difficultés les plus capitales du dessin dont M. Ingres a triomphé en grand maître, sans ruse déloyale et sans subterfuge. Puisque j'en suis à vous parler des plus grandes toiles, pourquoi ne vous dirai-je pas aussi un mot du plafond de l'Hôtel-de-VilIe, l'Apothéose de Napoléon Ier ; je passe condamnation à la critique impartiale et sévère pour la partie inférieure du tableau, qui représente au pied d'un trône couvert d'un crêpe de deuil, Némésis ter- rassant l'anarchie, mais aussi je fais appel à sa loyauté quand il s'agit, pour elle, d'admirer avec tant d'autres et avec moi, l'in- comparable beauté du Napoléon, le torse nu et légèrement drapé, comme un dieu de l'Olympe. N'y a-t-il pas dans le jeune héros, que les magnifiques chevaux guidés par la Victoire condui- sent au temple de la gloire et de l'immortalité, quelque chose de la majesté juvénile et sereine de l'Apollon Pythien, victorieux du monstre dont il vient de délivrer la terre, et la figure de la Victoire et celle de la Renommée qui tient la couronne suspendue sur la tête du héros français, est-il possible d'imaginer quelque chose de plus gracieux à la fois et de plus noble? Pourquoi faut- il que je ne puisse également vous entretenir, comme je le vou- drais, de N. S. Jésus-Christ, donnant à saint Pierre les clés du Paradis enprésmce des apôtres, et de YOEdipe expliquant l'énigme du Sphynx, deux tableaux, l'un de la jeunesse, l'autre de l'âge mur de M. Ingres ; je vous dirais tout ce que j'ai trouvé d'admi- rable et de profondément humain dans la pose de saint Pierre recevant les clés, et tout ce qu'il y a de grandiose et de divin dans la figure, le geste el les draperies de Notre Seigneur qui les donne -, je vous dirais aussi que dans l'OEdipe on a rarement atteint à une interprétation plus intelligente et plus exacte de l'histoire des temps héroïques de la Grèce, dont la mythologie nous a fait, n'en déplaise à l'abbé Gaume, une peinture si énergique et si séduisante ; si je pouvais passer à des œuvres de moindre im- portance, combien n'aurais-je pas à vous parler longuement de tOdalisque couchée, si souvent reproduite par la gravure et la lithographie, si fière et si chaste dans l'abandon de sa pose, de l'autre Odalisque gardée par une esclave abyssinienne et par un eunuque, qui est peut-être encore plus vraie sans être pour cela moins belle, et dans la peinture de laquelle M. Ingres a su rendre si bien les tristesses et les langueurs du harem ; et les deux Baigneuses, celle surtout dont la ravissante tête est coiffée d'un chiffon rouge et blanc , si gracieusement et si pittoresquement entortillé autour de ses tempes. Comment pourrais-je en finir