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80 y a deux ans à peine, étonner Paris, — cet êlre blasé, si diffi- cile à étonner, — et se placer, d'un seul bond, lui si jeune, à la lêle des plus vieux et des plus grands artistes du théâtre français. Nous ne saurions trop louer, et cela comme un en- seignement pour tous, la simplicité des ressorts que M"e Ra- chel emploie pour émouvoir; nous ne saurions trop louer la majesté de sa pose, la sobriété de son geste, l'expression in- telligente de ses trails, fidèle miroir de la passion, el cet or- gane si accentué, si limpide, si pur, si saisissant, si admi- rable enfin, qu'à lui seul il est un chant, une harmonie. M"e Rachel ravive en tous ceux qui l'ont connu le souvenir de Talma, ce génie créateur auquel le théâtre doit tout, dic- tion, çoslumes et décors. Mlle Rachel el Talma ont compris tous deux la tragédie d'une manière différente, et cela tient sans don le aux époquss diverses dans lesquelles ils ont vécu l'un el l'autre. Talma, tout en défaisant le travail du poète, c'est-à -dire tout en détruisant pour l'oreille la monotonie de l'hémistiche et de la rime, avait laissé à ses personnages une certaine grandeur de convention, une certaine majesté de diction et d'allure qui les rapprochait plus des dieux que des hommes. Piachel (L'artiste me pardonnera si je l'appelle ainsi) Rachel a rendu à ses personnages des proportions hu- maines. Elle a fait descendre ses héroïnes des échasses éle- vées que le poêle leur avait données. Elles parlent, elles mar- chent, elles souffrent de nos mêmes passions,et tout cela com- me nous à celle heure. Talma a fait en son temps pour la tra- gédie ce que la statuaire a fait pour les dieux et les héros d'Alhèues et de Rome; elle les grandissait hors nature. Vous, Rachel, vous êles la peinture, vous êtes le portrait d'Holbein, de ce grand peintre qui faisait vrai, qui faisait juste. Comme lui, vous reproduisez l'humanité, rien de plus, rien de moins. C'est assez comme cela. Merci, Rachel ! vous avez sauvé l'art dramatique du naufrage qui le menaçait. Enfant, Dieu vous a choisie, il vous a tiré dti néant pour cette grande œuvre. Âc- complissez-la donc, et marchez sans écouler autour de vous, sans vous laisser éblouir par les joies du triomphe ; ne sa- crifiez jamais à l'effet ; ne recherchez pas les bravos de la foule, conlenlez-vous de ce silence religieux avec lequel on vous écoule: ce silence, c'est le plus grand, le plus vrai de tous les applaudissements. L. B. k