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jieurs de la magistrature à l'échafaud, chargé du mépris et de
l'exécration publique. Etrange destinée qui lui survécut, et le fit
encore tomber après sa mort du Panthéon à la voirie. Certes, si dans
le moment même de leur plus grande fureur, ses ennemis ont
été forcés de reconnaître en lui un négociant probe et intelli-
gent, un magistrat laborieux et intègre, un citoyen dévoué; s'il
fût regardé dans le temps tantôt comme un grand scélérat, tan-
tôt comme un demi-dieu, il nous sera bien permis de nous pla-
cer aujourd'hui entre son supplice et son apothéose, et d'étudier
avec toute l'impartialité de l'historien cette figure tantôt grave,
tantôt délirante, d'une grande et religieuse époque.
   Joseph Chalier naquit, en 1747, à Beaulard, près de Suze,
en Piémont; son père était notaire et le destinait à l'état ecclé-
siastique ; il lui fit donner une éducation convenable. Déjà sur
les bancs de l'école, le germe de ses idées gigantesques com-
mençait à faire bouillonner sa cervelle exaltée ; déjà sa nature
frénétique commençait à se manifester dans ses gestes et dans
son langage, et à réveiller l'extrême sensibilité dont il fut doué.
A l'école des Domiuicains, où il étudiait la philosophie, il avait
des momens d'extase et de convulsion pendant lesquels on le
voyait rêver et s'agiter. Il poursuivait, dit un de ses condisci-
ples, les yeux penseurs et les faces mélancoliques; l'aspect d'une
société froissée par des abus sans nombre l'attristait,, et se pre-
nant à faire des vœux pour une révolution régénératrice : « Les
têtes sont rétrécies, disait-il, et les âmes de glace; le genre hu-
main est mort; on voit sortir de son sépulcre des reptiles
froids, des spectres livides, des simulacres muets. Génie créa-
teur, fais jaillir la lumière de ce chaos ténébreux et uniforme. »
Puis, à l'idée de la tâche glorieuse réservée à tout citoyen pur
et dévoué, l'activité qui le dévorait enflammait son imagination
active. «J'aime, s'écriait-il, les grands projets, les vertiges,
l'audace, les chocs, les révolutions.... Le grand Etre a fait de
belles choses, mais il est trop tranquille. Si j'étais Dieu, je re-
muerais les montagnes, les étoiles, les fleuves, l'Océan, les
empires ; je renverserais la nature pour la renouveler... » Alors,
entraîné par le cours de ses idées, il s'exagérait ses forces et se
croyait capable d'exécuter tout ce qu'il avait pensé, et il ajoutait,