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                LETTRES DE L ' É C O L E NORMALE            223

admirables auxquels rien n'a manqué. Lis Bossuet, mon
ami, lis le Discours sur l'Histoire universelle, surtout les deux
dernières parties, et tu y verras que nos petites tristesses
sont bien mesquines, devant la grande œuvre de Dieu à
laquelle nous devons contribuer.
   Tu voudrais, me dis-tu, y contribuer plus efficacement
en Rengageant dans un ordre religieux, les Frères ignoran-
tins par exemple. Ces désirs sont très beaux et très louables,
mon ami, mais dis-moi, si tu ne peux pas remplir tes
devoirs si simples et si faciles de bon fils, de bon commis,
d'homme du monde, comment pourras-tu remplir ceux de
ces bons Frères ! Car enfin on n'est capable de ce qui
est supérieur que lorsqu'on est capable de ce qui est infé-
rieur, et si je ne puis pas porter cent livres à bras tendus, à
plus forte raison je ne pourrai pas en porter mille. Exerçons-
nous d'abord à porter les petits fardeaux ; puis si le dévoue-
ment nous pousse, nous passons aux gros.
   Hier j'ai conduit à la diligence deux jeunes gens qui par-
taient pour Rome, afin d'entrer chez les Dominicains ;
M. Louis Piel, architecte, et Charles Hernsheim, ancien élève
de l'école ; l'un a 35 ans, et l'autre 27. Mais tous deux,
quoiqu'ils en eussent le dessein depuis longtemps, n'avaient
point voulu renoncer au monde avant de s'y être fait une
position, et d'avoir passé tout le plus pénible de leur vie,
tant ils avaient peur que leur dévouement ne fût à leur insu
de la faiblesse, de la paresse. Je ne doute pas de leur voca-
tion, parce qu'ils l'ont suivie au moment où ils pouvaient
se reposer, où ils réussissaient ; qu'ils l'ont suivie avec
gaieté de cœur et simplicité, et non par désespoir, par
tristesse, ni par exaltation passagère. Moi-même, mon ami,
j'ai eu souvent des idées de retraite, mais bien certaine-
ment, si elles persistent dans mon esprit, je ne l.es exécute-