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214 HENRI HIGNAKD . 1 3 Vendredi 10 avril 1840. MON CHER AMI, Je voulais t'écrire dès ce matin, et j'aurais pu alors le faire plus longuement ; mais j'ai bien mal à la tête aujour- d'hui ; ce matin il m'a été impossible de rien faire, et j'étais vraiment incapable même de ce degré d'attention qui est nécessaire pour écrire une lettre. Je suis fâché de ce contre- temps, car je sens que j'aurais eu de quoi te parler pendant plusieurs pages. Enfin, j'irai jusqu'où je pourrai, et la con- naissance que tu as de mon amitié, suppléera au reste. En vérité, mon ami, je t'aime bien. Jamais je n'ai senti plus vivement dans mon cœur tous ces sentiments de la patrie et de la famille que je soupçonnais autrefois, et auxquels je m'abandonnais par instinct, mais sans les voir de près, sans les toucher du doigt, sans les suivre volontai- rement et de propos délibéré, comme maintenant. Tous ces lambeaux de vie intérieure qui jusqu'ici étaient séparés, isolés, se groupent et se réunissent en moi ; l'amour de mon pays, de mes amis, de mes parents, de tous les hommes, de Dieu enfin, toutes ces affections qui paraissent si diffé- rentes, s'organisent, ou plutôt se fondent en un seul senti- ment dont elles ne sont plus que des degrés divers. Chacune se fortifie par les autres et les éclaire en quelque sorte de sa propre lumière. Je sens que mon cœur se forme, que je me fais homme, toutes sortes de rapports entre les hommes