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72 HENRI HIGNA'RD te suffiras à toi-même avant moi. J'ai encore un an et demi à attendre, c'est-à -dire jusqu'à vingt-deux ans et demi. A vingt ans, tu es sûr d'en être quitte, et d'une manière bien plus avantageuse que moi, car, enfin, il ne faut pas que je me fasse illusion. Les traitements des professeurs sont très faibles, les répétitions seules peuvent y ajouter un peu, mais, il paraît qu'il y a peu de villes où on en trouve aussi facilement et d'aussi bonnes qu'à Lyon. En outre, pendant les premières années, j'aurai à préparer mon agrégation, et je serai obligé de me borner à 1.800 francs ou 2.000 francs, ce qui n'est pas beaucoup comme tu le vois. Ces appointements, au contraire, dont tu me parles, sont très forts et très suffisants pour vivre avec aisance, mais il faut savoir les attendre. Ainsi, mon ami, ne nous impatientons pas des difficultés ; sachons les supporter avec courage ; sachons même ne pas y penser. Ce n'est pas y être indifférents ; par exemple, je blâmerais fort un jeune homme qui ne s'inquiéterait pas de son avenir, surtout lorsque cet avenir intéresse au plus haut degré tout une famille; je le blâmerais fort de vivre sans aucun souci au milieu des privations que ses parents s'imposent pour lui, et de ne pas songer au moyen de les rendre le plus heureux possible ; mais l'inquiétude est un autre excès que l'on ne doit pas moins éviter : elle alanguit l'âme, elle l'empêche de s'occuper sérieusement de choses utiles, elle fait beaucoup de mal et point de bien. Il faut songer à améliorer sa position, mais sans rêver le parfait que nous ne rencontrerons jamais sur la terre ; sans s'irriter contre des obstacles infranchissables, ce qui userait les forces et n'avancerait à rien. Tu dois causer quelquefois avec nos parents de ta position. Dis-moi si ce long retard les ennuie trop et s'ils t'en marquent quelquefois leur impatience.