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D'ALPHONSE DAUDET 267 Algérie, où une bienveillante intervention lui procura les moyens de vivre par un travail plus doux et sous un climat meilleur. Mais la phtisie avait fait son œuvre, et l'infortuné mourut, sans avoir cessé (singulier phénomène psycholo- gique) d'aimer et de bénir cette mère dénaturée, qui ne lui avait donné la vie que pour le vouer à la souffrance et au malheur. Voilà ce qu'il y a de vrai dans ce roman. Le reste, le séjour à Indret, l'accusation de vol, l'embarquement comme chauffeur dans les transatlantiques, le naufrage, c'est l'œuvre de l'imagination; mais d'une imagination éclairée, guidée par l'observation attentive des faits. C'est, du reste, le procédé constant de M. Daudet : les personnages, il les prend dans la réalité la plus voisine ; il se borne à regarder autour de lui ; c'est ainsi qu'il a connu personnellement tous les ratés, médecins sans malades, poètes sans talent, et les autres, qui jouent de si étranges rôles dans l'histoire de Jack ; le monde, les lieux, les circonstances où il place son récit, il les a étudiés minutieusement. Dans Fromont jeune et Risler aîné, il a dessiné sur nature l'acteur incompris Dolobelle, et ce brave Chèbe qui croit faire des affaires com- merciales dans un magasin vide, sans marchandises et sans clients ; et cette petite vipère de Sidonie, et la pauvre petite martyre Désirée. Et pour peindre plus exactement ce monde des petits ateliers et des petits métiers parisiens, comme la fabrique d'oiseaux pour modes, M. Daudet s'était logé en plein Marais, dans un de ces anciens hôtels envahis aujourd'hui par la gent ouvrière. De là cet accent de vérité qui éclate à chaque page du roman, et qui en a décidé le succès. Il faut nous arrêter ici, puisque M. Daudet s'y est arrêté lui-même. Aussi bien Fromont jeune et Risler aîné nous