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432 LETTRES D'HIPPOLYTE FLANDRIN davantage, quand tout à coup il apprend que le Conseil municipal de Lyon vient de le nommer professeur de gravure à l'école des Beaux-Arts; il est obligé de s'y rendre de suite. J'ai bien regretté de le quitter si tôt, mais il va remplir une place honorable et qui lui donnera la tran- quillité et l'indépendance nécessaire pour achever les charmantes gravures qu'il a commencées et exécuter plusieurs beaux projets qu'il a en tête. Avant-hier j'ai été l'accompagner à six lieues, et nous nous sommes quittés avec peine. Je revenais tristement, pensant à toutes les séparations pénibles que j'ai déjà éprouvées. J'étais encore à une lieue de Rome et le soleil allait se coucher. Sur cette plaine, d'un caractère sauvage et terrible, les ombres s'éten- daient et devenaient gigantesques, la ville, presque dans l'ombre, se cachait dans un pli du terrain; seulement l'immense coupole de Saint-Pierre et quelques clochers éloignés recevaient encore la lumière. Plus loin, la plaine et les montagnes resplendissaient, mais d'une lumière si douce, si fine ! Sur leurs flancs on voyait les petites villes de Tivoli, Frascati, toutes dorées. Plus à la droite et plus à l'horizon l'immense ligne de la mer!... J'admirais, mais toujours avec le regret d'être seul. J'essayai de me figurer votre bonheur en voyant cela, et le mien augmentait. Je pensais à Paul, qui veut faire du paysage. Déjà je voyais des tableaux sublimes et tressaillais de joie, puis tout à coup je me plaignais de sa lenteur à venir; car je vous avoue que mon impatience est déraisonnable. A chaque courrier mon cœur bat d'espérance et de crainte, mais que de fois déjà j'ai été trompé! Voilà plus de deux mois que je n'ai pas reçu de lettre de Paul, et d'Auguste il y a plus de quatre mois; de mon père plus de deux. Je n'ose me plaindre de lui, mais de mes frères c'est incompréhensible, et, pour