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ET LE BARREAU LYONNAIS 99 construisait de toutes pièces sa plaidoirie, n'y tolérant pas un point où l'imprévu pût surgir, une brèche où pût se faufiler une surprise, devinant et détournant tout obstacle qui viendrait déranger le cours harmonieux de sa parole. Aussi, son langage était superbe. Ses cruelles élégances recouvraient une ironie mordante. Et la forme était si somptueuse que Ton comprenait bien que l'orateur trouvât un plaisir extrême à s'écouter lui-même. Mais de tous ses confrères, celui qu'Humblot entourait de l'affection la plus solide, c'était Perras, son ami d'en- fance. Ils avaient fait leurs études dans la même classe, puis s'étaient retrouvés à Paris dans la même chambre d'étudiant. Et là ces jeunes gens, élevés dans le calme de la province, sous la direction maternelle de la famille, se serraient davantage l'un contre l'autre, isolés et dépaysés dans ce grand mouvement de Paris qui recouvre tant d'inquiètes solitudes. Ils avaient tout mis en commun, les fraîches émotions de la jeunesse, les espérances qui fleu- rissent le seuil de la vie, les travaux, les réflexions sérieuses, les conseils même qui préparent la carrière. Ils étaient devenus frères par la communauté de l'existence, par le partage des idées, par le mélange de leurs esprits et de leurs cœurs, dans lequel ils échangeaient l'un à l'autre une part d'eux-mêmes. Puis ils s'étaient fait inscrire en même ,, 'TUJP>- temps au même barreau, et la mort seule devait les séparer. • ^ ^"''.'-Cependant, ils étaient de tempérament bien dissemblable ^ ,J> 5 ,tet c'est peut-être cette différence même de leur nature qui V ^ y :< V explique leur grande amitié. Perras avait peu d'imagination et était malhabile à faire vivre sa plaidoirie. Mais c'était un laboureur qui creusait jusqu'au fond le sillon qu'il devait ensemencer. Il reprenait ses arguments, les reprodui- sait sous vingt formes nouvelles, les entrait, les martelait,