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342 PROMENADE. ces gaines avachies, informes et grimaçantes que forment les pantalons trop courts ; les gracieuses jaquettes du temps passé, par des habits-vestes d'une coupe hybride; les tricornes ou les sombreros majestueux, par la casquette faubourienne ou de petits chapeaux étriqués; puis, brochant sur le tout, le triste fourreau bleu qu'on appelle la blouse! Ici, je me sens arrêté par plusieurs holà ! qui semblent me dire : mais jusqu'où allez-vous? Oubliez-vous que la blouse est le vêtement national par excellence, l'antique saie ga,u- loise ? Ne mérile-t-elle pas tous nos respects ? Je réponds à mes interrupteurs que je professe tout autant qu'eux une vive sympathie pour la saie gauloise ; mais elle n'a rien de commun avec le bourgeron ou le grand sarrau flottant, tels qu'on les porte aujourd'hui. La saie n'a sa grâce et son caractère primitifs que si on la porte comme le faisaient nos ancêtres, c'est-à -dire artislement serrée à la taille par une ceinture de cuir, et dessinant ainsi autour du corps des plis réguliers et flatteurs à l'œil. Le facteur rural est un exemple de la façon dont on doit vêtir le sayon gaulois. Que le lecteur se reporte par la pensée à une de ces foires villageoises auxquelles il a assisté. Ne frémira-t-il pas, surtout s'il est peintre, à l'image de ce fouillis grotesque et incolore que forment les groupes des campagnards pressés? Rien, dans cette mêlée humaine, ne repose et ne satisfait l'œil; ces mul- titudes d'accoutrements sans grâce et sans couleur jurent avec le ciel et le paysage; on répète avec stupeur cette sen- tence : ces gens-la s'affublent, ils ne s'habillent pas. Aussi, un peintre s'avise-t-il jamais de compromettre ses pin- ceaux dans une bagarre aussi prosaïque?Certes non. Quand il veut retracer sur sa toile une foire ou un marché, il prend sa scène en Espagne, en Italie ou en Tyrol. M. Biard et M. Cour- bet eux seuls osent exécuter le tour de force de reproduire des scènes populaires avec le réalisme du vêtement moderne.