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LES DONS D'AUTEURS. 255 gies qu'était comprimée la chevelure de la sœur de mon ami! Cette délicieuse demoiselle, qui m'était apparue si jolie quelques instants auparavant, me sembla presque hideuse après cette fatale découverte. Je contins, à grand' peine, la colère qui me suffoquait ; j'allais peut-être même éclater en reproches quand mon ami survint, saluant gaî- ment l'aurore de quelques nouveaux calembours, éclos durant son insomnie de la nuit, et qui me trouvèrent sans indulgence pour eux. Dans une halte de chasse, et pour bannir une mauvaise humeur qu'il m'était impossible de dissimuler, il voulut faire l'éloge de mes œuvres et me parler du cas tout particulier que sa sœur en faisait.— « Oui, lui répondis-je indigné, et dans son langage favori, « je me suis assuré ce matin que cette aimable fille n'est « point défrisée par ma muse et que même elle en est « coiffée ! » Ce fut là toute ma vengeance ; toutefois j'aurais dû la pousser plus loin, car, mon ami ayant tiré une caille de- vant lui, je reconnus dans la bourre de son fusil, qui brû- lait sous mon nez , le solde infortuné de l'élégie dont sa sœur avait consacré la première page à sa coiffure ! Si tel est, en général, le destin qu'obtiennent chez nos parents et nos amis les ouvrages que nous leur offrons, il est moins humiliant sans doute chez les hommes de lettres nos collègues. Du moins tout devrait le faire présumer : l'intérêt qu'ils ont pour l'art, l'estime qu'ils doivent pro- fesser pour des gens ayant les mêmes penchants qu'eux- ' mêmes, les sentiments généreux qui dérivent naturelle- ment de leurs nobles occupations, l'envie d'ajouter à leurs bibliothèques sans rien ôter à leur bourse, etc. Eh bien ! malgré tout cela, nos offrandes qui sembleraient garanties d'outrages chez eux par un respect que tant de raisons doivent leur inspirer pour elles, nos offrandes y font sou- vent de bien méchantes fins. C'était en 1832; je venais de fonder le Fantasque, que nos compatriotes accueillirent avec une très-indulgente