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                    SUR LE PONT DE SAONE                       73

    Le vicomte Evrard n'avait qu'un mot à dire pour faire
taire ces criailleries. Il aima mieux, épousant la querelle de
ceux qui savaient rémunérer ses services, porter, en leur
nom, à l'empereur une plainte contre l'archevêque de Lyon.
Mis en demeure de se justifier alors qu'il avait lui-même
de si graves sujets d'accusation, Agobard partit pour la
Cour. Il lui semblait qu'il n'aurait qu'à faire connaître la
vérité à Louis-le-Débonnaire pour obtenir du pieux empe-
reur l'approbation de sa conduite et la condamnation de
l'insolence des Juifs de son diocèse. Vain espoir! entre le
prince et lui s'interposèrent des courtisans plus soucieux de
plaire à Israël que de faire droit aux justes réclamations
d'un évêque. Il lui fallut reprendre la route de Lyon sans
que l'empereur eût seulement daigné l'écouter.
   Lorsqu'il y arriva, la synagogue triomphait déjà bruyam-
ment. Les Juifs avaient en main et montraient partout un
soi-disant édit de l'empereur, prescrivant que désormais
aucun de leurs esclaves ne pourrait être baptisé sans le con-
sentement exprès de son maître (7). Evrard ne tarda pas à
venir au palais épiscopal communiquer l'ordre de l'empe-
reur à Agobard et lui signifier que s'il y contrevenait, lui ou
quelqu'un de ses prêtres, des commissaires seraient aussitôt
envoyés à Lyon parle gouvernement pour informer contre
lui et le punir de sa rébellion. Quant à la jeune fille dont la
conversion avait été l'occasion de cet orage, Agobard eut
le chagrin de ne pouvoir empêcher qu'on la lui arrachât,
pour la rendre à des maîtres inhumains de qui elle eut à
endurer les plus odieux traitements.


  (7) Nemofideliumnostrorum prasutnat eorum (judœorum) mancipia sine
eorum consensu baptizare. Chartœ Ludovici PU. Les historiens de France,
tome VI, n° 32-34.