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176 vous aurez la délicieuse complainte de la jeune châtelaine, ma- riée depuis peu à un noble et beau chevalier ; elle l'a vu avec regret partir pour une guerre périlleuse. Au premier .combat Sigefroy tombe percé d'une lance et est apporté mourant dans son château, où il expire incontinent; la pauvre épouse l'ignore, on le lui a caché ; mais de sinistres pressenlimens agitent son ame ; les apprêts des funérailles remplissent de rumeurs le ma- noir du défunt -, elle entend le retentissement des marteaux qui clouent la bière, les chants lointains des prêtres, les glas des cloches, et à chacun de ces bruits funèbres, c'est un couplet déchirant où la jeune châtelaine interroge sa mère qui calme ses craintes en la trompant. Ce chant, d'une simplicité antique , d'une mélancolie si suave, a souvent fait couler des larmes. Oh ! pourquoi s'en vont-elles peu à peu ces touchantes complaintes de mon pays, pourquoi se flétrit-elle cette fleur de poésie que la religion échauffait au cœur du pauvre peuple^ pourquoi s'effa- cent-elles chaque jour ces belles traditions d'un âge que beau- coup aiment sans le comprendre ? Aujourd'hui les jeunes filles de Crozet commencent à admettre la chanson politique, les pots-pourris erotiques et autres misérables rapsodies rimées que nos trouvères industriels répandent dans les campagnes. Le paysan n'aime plus autant la veillée qui réunissait le voisinage autour de son foyer : c'est brûler du bois pour chauffer autrui; il préfère s'isoler dans son égoïsme. Trêve donc à ce doux échange de causeries qui rendait plus sociable , à ces histoires merveilleuses ou apitoyantes qui entretenaient l'horreur du mal et disposaient le cœur à la compassion. En vérité, la philosophie elle-même rougirait de ses réformes si elle les voyait appliquées au pauvre peuple des campagnes ! Les grandes routes où ses idées courent en poste, dessèchent la fraîcheur des âmes, comme elles ternissent la verdure des plantes. Partout où elle a pu faire ger- mer quelques-unes de ses maximes corrosives, on voit s'étein- dre la vie morale , le sentiment, ce souffle divin qui fait devi- ner une intelligence immortelle sous les dehors les plus gros- siers. La plus brute créature , la plus dure et la plus repous- sante, c'est le paysan sant foi. Il n'y a rien en lui qui décèle une ame, si ce n'est peut-être la haine jalouse et forcenée qu'il a