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NOTES RÉTROSPECTIVES SUR LE SALON DE l 8 8 8 381 quantité, des toiles que l'indulgence voulue — peut-être forcée, du jury avait laissé entrer, productions naturellement étranges ou étrangement naturalistes, comme l'on voudra, où l'art n'avait rien à voir ni à prétendre. Le ridicule en a fait trop prompte justice. Risum teneatis amici... Je ne rappellerai donc, dans ces notes rapides, que ce qui m'a paru « le dessus du panier », laissant volontairement dans le silence, non dans l'oubli, nombre de toiles intéres- santes et de valeur, qui ne m'ont pas semblé dignes toutefois du premier rang. Donc, parmi les meilleures, je mettrais volontiers l'Orphée, de Benjamin Constant. Il y a dans cette grande figure voilée d'ombre, qui se détourne de la lumière et de la vie, pour descendre lente- ment dans la nuit et s'ensevelir dans l'oubli et dans la mort, une incontestable majesté. La description du tableau peut s'écrire en une ligne : « Orphée, lassé de la vie, descend appuyé sur sa lyre dans la vallée de l'ombre de la mort. » Sur cette donnée, si simple en apparence, le pinceau de l'artiste a écrit une page d'une ample et magnifique poésie. Au loin, par une haute et étroite échancrure de la fabu- leuse montagne qui domine le vallon où la scène est placée, l'aube naissante colore en rose des cimes blanches de neige. Hors cet unique point, où brille le jour et la vie, tout est sombre, tout est triste, tout est nuit dans le tableau. Le poète, d'une stature surhumaine, est seul en ce site agreste et sauvage ; d'un mouvement mélancolique et comme lassé, il descend lentement, appuyé sur sa lyre, s'accrochant de sa droite aux rameaux desséchés d'un vieux chêne, autre vaincu de la vie. N° ; . — Mai 1888. 25