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DU BON SENS 191 comme il faut que l'exercice vienne toujours s'ajouter aux facultés natives pour les développer, ils n'excellent que dans le genre qu'ils ont adopté. Cela est si vrai que lorsque leur activité s'est trouvée exceptionnelle, on en a vu briller en des arts très différents : le plus grand des peintres, Léonard de Vinci, était un ingénieur de premier ordre. Le bon sens fait tous les grands hommes : les grands inventeurs comme les grands poètes, les grands politiques comme les grands généraux ou les grands navigateurs. C'es.t le bon sens qui a découvert l'Amérique. Christophe Colomb n'a fait que se rendre un compte plus exact de la configuration de la terre que tous ses contemporains. Au xve siècle, la cosmologie existait à peine; d'innombrables fables couraient, parmi les peuples et parmi les simples savants, sur l'intensité de la chaleur au-delà de telles limi- tes, sur les monstres qui y peuplaient la mer, sur les lois étranges qui y régissaient les mouvements des flots. Christophe Colomb sut voir clair au milieu de toute cette confusion. Ne doutant pas de la forme sphérique de la terre, que plus d'une donnée indiquait, observant les lois très simples et évidemment générales de l'équilibre des eaux, discernant d'ailleurs tous les avantages d'un trajet par mer pour exécuter un long voyage, il se dit avec fermeté que l'Océan Atlantique offrait une voie sûre pour aller aux Indes par l'ouest, et, passionné pour la vérité comme le sont tout ces grands esprits, il n'hésita pas à risquer sa vie pour vérifier son pressentiment. Ces illumi- minaiions du génie, que l'on se représente comme des éclairs soudains plus ou moins fantastiques, ne sont pas autre chose que la lumière pure et régulière d'un bon sens supérieur.