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UNE EVASION A PIERRE-SCIZE 57 chambres, je dis à cinq d'entre eux de venir au numéro r, à l'instant où l'on ouvrirait leurs portes, que je leur com- muniquerais un projet d'évasion certain. « Je ne pouvais pas les faire sauver la nuit: il aurait fallu percertous les murs de communication d'une chambre à l'autre, avec toutes les chances d'être découverts ou trahis. Le régime de la prison favorisait mon autre calcul. « On nous ouvrait à sept heures précises du matin, et Ton apportait les vivres à dix heures ; il y avait donc trois heures pendant lesquelles personne ne s'occupait de nous. « La nuit qui précéda l'évasion, il me fut impossible de fermer l'œil ; j'attendais l'heure indiquée avec tant d'inquié- tude, avec tant d'impatience !... Je l'avouerai même, plu- sieurs fois il me vint la pensée de me sauver seul ; mais je sus y résister. La brèche ouverte, j'ignorais de quelle hau- teur j'aurais à descendre ; je coupai donc, dans la nuit, et mes draps et mon linge pour me faire une corde au besoin. « Enfin l'heure sonne : les verrous s'ouvrent ; le geôlier me souhaite le bonjour comme à l'ordinaire. Mes cinq camarades entrent : l'un d'entre eux me dit d'un ton moqueur : « Eh bien ! voyons ce beau projet. » Je leur dis : « le projet, il est là dans cet angle, derrière ce mur qui est de papier; dépêchons-nous. » Est-il possible?» s'écrient-ils. — « Il a trouvé ce trou tout fait ; il n'est pas fini ; la belle avance ! » — Il n'est pas fini... Il va l'être d'un seul coup : qui m'aime me suive. » Nous attachons mes draps au pied de mon lit ; je prends le bout de ce cor- dage de mon invention et j'entre dans l'étroit passage. J'étais en veste de nankin ; j'avais dans une poche six car- touches, un pistolet à deux coups et un fort couteau à res-