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6 PAUL HUMBLOT retrouve rien, pas une ligne, pas un écho, à peine la mémoire de son nom. Pour revivre, non pas dans la posté- rité (à quoi bon cet étrange orgueil ?) — mais au cœur même de ses amis et de ses descendants, il n'a pas laissé, comme l'artiste ou l'écrivain, une œuvre qui rajeunit avec les années. L'éloquence n'a qu'une heure, une heure qu'elle veut sans partage, toute entière à elle seule, l'heure inspirée où la voix retentit, où le geste domine, où dans son insouciance prodigue, elle se donne toute entière, confiant à l'admiration de quelques-uns ses plus précieuses richesses, splendeurs fragiles que nul ne reverra jamais ! Et lorsqu'on va demander à la mort ce qu'elle a épargné de cet éclat d'un jour, de ces triomphes sans lendemain, elle n'a rien à répondre. Il n'y a pas quinze ans que de grands avocats se sont éloignés de notre palais ; et déjà , dans cette enceinte qui fut peuplée de leurs labeurs et bruyante de leurs discours, les jeunes gens, dont les regards devancent l'avenir plutôt qu'ils ne s'attardent au passé, conservent à peine comme une tradition et comme une légende, le souvenir presque effacé de leurs noms. Seuls les anciens se plaisent à parler parfois de ces morts aimés, de ces patrons de leur jeunesse, de ces guides qui protégèrent leurs débuts, de ces vieux amis qui les accueillirent dans l'intime familiarité de leur vie. Ils retournent, avec un triste sourire, vers ces évo- cations qui leur rendent leurs jeunes enthousiasmes, leurs admirations franches et naïves, lorsque, dans les grandes audiences, écoutant les maîtres, ils sentaient en eux s'éveiller le trouble étrange, courir « le premier frisson » de l'éloquence Et c'est comme un portrait qu'ils refont de mémoire, avec le charme voilé, indécis des choses lointaines.