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                    PIERRE ET JEANNETTE                    11$

nous allons la voir aussi souvent que nous pouvons ; nous
avons la douleur de lui entendre dire des choses sans suite,
sans signification, elle qui était si raisonnable, si sensée.
Mon pauvre Pierre, nous sommes bien malheureux, et je
vois que tu l'es autant que nous ! »
   L'infortuné jeune homme avait la figure bouleversée; il
fondait en larmes, et se couvrait convulsivement le visage
de ses mains crispées.
   Il partit le jour-même pour la ville, afin de revoir la pau-
vre fille. Quelle fut l'amertume de son chagrin, quand on
amena devant lui sa Jeannette bien-aimée, maintenant
méconnaissable, les yeux hagards, ses beaux cheveux cou-
pés ras pour éviter le désordre d'une longue chevelure,
les traits amaigris, bons toujours, mais empreints d'une
exaltation fiévreuse, la parole saccadée et extravagante!
   Elle ne reconnut pas Pierre. Il voulut lui prendre la main,
elle le repoussa brusquement. « Ah ! vous voulez faire de
moi votre femme, misérable ! dit-elle, mais j'en aime un
autre, apprenez-le, je ne serai jamais à vous. » Et elle se
retira avec un geste de mépris.
   Le malheureux avait le cœur brisé et versait d'abondantes
larmes. Il demanda au médecin de l'établissement ce qu'il
pensait de la folie de la jeune fille. « C'est une folie douce,
répondit le docteur ; mais je ne réponds pas de la guérison ;
dans tous les cas, ce sera long. »
   Pierre vit avec une profonde douleur cette personne ai-
mée retourner au milieu des insensées ses compagnes,
se promener avec elles, échanger avec les pauvres femmes
des paroles incohérentes, et recevoir des commandements
durs et menaçants des surveillantes attachées à leur ser-
vice.
  Il revenait souvent à la ville, soit seul, soit avec le père
ou la mère André, espérant chaque fois trouver quelque.